Sur les bords de la lagune, ce palais ouvert vers l’extérieur a eu ses heures de gloire avant de s’étioler doucement. Souvenirs, souvenirs...
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C’est le palais de Sidna, de Mohammed V », expliquent les Oualidis aux visiteurs qui s’étonnent devant le grand bâtiment ocre, adossé à la colline boisée et étalant ses beaux restes face au passage qui clôt la lagune de Oualidia. Cela fait maintenant presque cinquante ans qu’il est abandonné. Petit à petit, les peintures se sont écaillées, les grilles en fer forgé se sont rouillées. Une à une, les vitres se sont brisées, et finalement, la majeure partie de la si gracieuse galerie d’arcades qui ornait l’immense terrasse sur le flanc gauche s’est effondrée, envahie par les plantes.
Pourtant, le palais est de facture relativement récente, et n’a rien d’une casbah en terre plusieurs fois centenaire. Mohammed V l’a fait construire pendant la première partie de son règne, quand il était encore le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef et qu’il avait bien du mal à s’opposer aux velléités de la Résidence d’administrer le Maroc directement, comme une colonie plutôt que comme un protectorat. Avec une marge d’action très limitée, selon son médecin Henri Dubois-Roquebert, auteur de l’ouvrage Mohammed V, Hassan II, tels que je les ai connus (Editions Tarik), Mohammed V se sentait « très isolé dans un palais (à Rabat, ndlr) qu’il lui arrivait souvent de comparer à une prison ». Il venait donc, chaque année, passer plusieurs semaines au bord de la lagune. Autant pour se reposer et s’adonner à la natation (c’était un très bon nageur) que pour passer du temps en famille, loin des intrigues politiques. Oualidia, à l’époque, était un simple village de pêcheurs, doublé d’une petite station balnéaire fréquentée majoritairement par des Safiotes et des Européens.
Le singe du futur roi Hassan II soulevait les jupes des dames !
L’agencement du palais semble confirmer la réputation de simplicité de Mohammed V. La bâtisse, grande mais bien proportionnée, n’est pas imposante. Elle ne comporte qu’une seule salle de réception, au premier étage, à droite de l’escalier principal. Enfin, le palais est étonnamment ouvert sur l’extérieur, avec une longue plateforme qui borde la lagune, et de multiples terrasses.
Cette ouverture, de même que les deux piscines (l’une au rez-de-chaussée et l’autre devant la grande salle) témoignent également de la modernité du sultan. Les Oualidis les plus âgés se souviennent avec nostalgie du roi qui descendait sans façon se baigner parmi les estivants, accompagné de ses filles en maillot de bain deux-pièces. « On pouvait nager ou même marcher sur le sable devant le palais, tant qu’on était en maillot de bain, les gardes ne nous inquiétaient pas. » Latif Illane, dont la famille est originaire de Safi, venait souvent camper à Oualidia. Il narre, avec une voix chargée d’émotion, la rencontre mémorable qu’il a faite devant l’Hippocampe, l’hôtel jouxtant la résidence royale. « Un après-midi, devant l’hôtel, j’ai joué avec une des petites princesses. Le lendemain, des mokhaznis sont venus me chercher pour m’emmener au palais. Je me souviens que ma mère s’est mise à pleurer, elle avait peur qu’ils me gardent là -bas ! Le plus gradé des mokhaznis s’est alors engagé à me ramener lui-même. J’ai passé la journée à jouer sur la plateforme, dans les piscines... Les terrasses étaient recouvertes de tapis, on y servait le thé, des gâteaux. En fin d’après-midi, on m’a raccompagné jusqu’à la tente de mes parents, escorté de serviteurs portant des midas chargées de pâtisseries et de fruits. Ma mère a abondamment remercié et a commencé à vider les plateaux, mais on lui a fait comprendre que les midas étaient également offertes. On les a gardées précieusement. » Amoureux de la lagune, Latif Illane a fini par racheter l’Hippocampe. Cet hôtel est d’ailleurs le cadre d’une autre anecdote savoureuse racontée par les témoins de l’époque. Selon leurs dires, il arrivait que le prince héritier, le futur Hassan II, se rende aux soirées dansantes qu’on y organisait accompagné de son petit singe, un animal très polisson qui avait la fâcheuse habitude ... de soulever les jupes des dames !
« Pourquoi l’a-t-on abandonné ainsi ? »
Mais après la mort de son père, en 1961, Hassan II n’a plus jamais remis les pieds dans le palais de Oualidia, préférant Skhirat comme lieu de villégiature. Les habitants ont assisté à sa lente dégradation. « Quand j’étais enfant, au début des années 80, le bâtiment était relativement en bon état », raconte Hicham, un Casablancais qui passe tous ses étés à Oualidia. « Certaines portes-fenêtres arboraient encore du verre coloré. Souvent, on se glissait dans un trou du grillage qui protégeait l’entrée et on jouait sur les terrasses, on essayait d’ouvrir les pièces, toutes vides, en imaginant le décor de l’époque. Puis le gardien qui vivait dans les communs, derrière le palais, nous chassait en criant, et on détalait. C’était tout une aventure... »
Dans les années 90, la résidence de Mohammed V devient le lieu de promenade des Oualidis comme des touristes, qui, après s’être enquis de l’histoire du lieu, finissent invariablement par demander : « Pourquoi l’a-t-on abandonné ainsi ? »
A cette question, les gens de Oualidia n’ont pas de réponse sûre, ils n’ont que des théories. Certains expliquent que Hassan II, terrassé par la mort de son père, ne pouvait pas revenir dans le palais où ce dernier avait laissé sa marque partout. A la mort de Hassan II, des rumeurs ont commencé à circuler à Oualidia sur la nouvelle destinée du palais « vendu par le roi à des Américains qui le transformeront en hôtel de luxe ». Après quelques temps, les rumeurs ont cessé, pour subitement reprendre, quand, en 2008, la demeure est fermée au public : les entrées sont murées et le périmètre gardé jour et nuit par des soldats. Quelques journaux annoncent alors la rénovation imminente du palais. Deux ans plus tard, la situation est au point mort. Pourtant, Mohammed VI a visité la station balnéaire à plusieurs reprises ; la dernière fois, il y a quelques mois à peine, pour y présider la cérémonie de signature d’une convention sur la mise à niveau de la commune et la préservation de sa lagune.
Contacté par actuel, le ministère de la Culture a indiqué que le bâtiment n’était pas classé comme monument historique, et n’était donc pas « de son ressort ». La wilaya de la région, elle, a affirmé n’être au courant d’aucun projet de rénovation, expliquant que les rumeurs étaient « sans fondement ». Même réaction de surprise au ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, chargé de la gestion des palais royaux, où l’on n’a « aucune information » concernant la résidence préférée de Mohammed V. Décidément, le palais semble maintenant tomber dans l’oubli. Il ne se réveille que lorsque le soleil se couche, et que l’ancienne résidence royale, nimbée d’une chaude lumière ambrée, paraît revivre son âge d’or : les terrasses recouvertes de tapis et les fenêtres éclairées, la nuit, qui se reflètent sur l’eau calme de la lagune...
Amanda Chapon |