Le projet de loi sur le travail domestique est sur les bons rails. Attendu depuis 6 ans par la société civile, ce texte suscite autant d’espoirs que d’interrogations.
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Interdiction d’employer des domestiques âgées de moins de 15 ans, embauche sur contrat, avantages sociaux et peines allant jusqu’à la prison pour les contrevenants, c’est un florilège de ce que prévoit le projet de loi encadrant le travail domestique (voir encadré). « Le projet est entre les mains du secrétariat général du gouvernement (SGG) », nous assure Jamal Rhmani, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, dont le département est l’initiateur du projet.
Après le SGG, la nouvelle loi sera débattue incessamment au Parlement pour être amendée. Passé le circuit de validation, elle sera publiée au Bulletin officiel et entrera en vigueur 6 mois plus tard. Les ménages auront ainsi 6 autres mois pour s’y conformer. Le temps que les mentalités évoluent et que cette loi, présentée sans grand tapage, fasse son chemin pour changer les mœurs des Marocains.
Pour la société civile, c’est l’aboutissement de six années de lutte pour en finir avec l’injustice que subissent au quotidien les employés de maison. La loi était en effet attendue depuis l’adoption, en 2004, du nouveau code du travail qui précisait qu’une loi spécifique aux employés de maison devait être élaborée.
Si le projet était dans les tuyaux depuis tout ce temps, pourquoi fait-il surface seulement maintenant ? « Contrairement à ce que l’on pense, l’offre se raréfie. Même les secteurs industriels commencent à faire de plus en plus appel à la main-d’œuvre non qualifiée que représentent les employés domestiques. Résultat : si on ajoute à cela le recours de plus en plus fréquent aux employées étrangères, Philippines et Sénégalaises en tête, le besoin de réglementer ce secteur est devenu encore plus urgent », nous explique Jamal Rhmani.
Rapports alarmants des ONG
Un argument certes pertinent, mais qui ne convainc pas vraiment les ONG, qui y voient surtout une volonté de l’État de « se racheter » auprès de l’opinion publique et de la communauté internationale à cause du scandale des petites bonnes. Selon Rachid Badouli, directeur de développement de la fondation Orient-Occident, initiatrice d’un collectif de défense des droits des petites bonnes, « les rapports alarmants des ONG et le scandale de la torture d’une petite bonne par la femme d’un juge à Oujda a poussé l’État à réagir ». Bien que datant de décembre 2005, le rapport de Human Rights Watch sur le travail des petites bonnes est encore dans toutes les mémoires. Selon l’ONG, près de 66 000 petites bonnes travaillent dans des foyers marocains… à raison de 126 heures par semaine et pour 46 centimes la minute. Des chiffres que nuance Jamal Rhmani, arguant que les dernières statistiques du HCP font état d’une baisse du phénomène du travail des enfants de moins de 15 ans (de 600 000 cas en 1999 nous sommes passés à 170 000). Au-delà du problème du travail des enfants, véritable clef de voûte de cette loi, les dispositions concernant les adultes font également débat. Outre le timing du projet de loi, les ONG pointent du doigt certaines défaillances à commencer par l’applicabilité du texte.
Corps spécial chargé du contrôle
« Comment pourra-t-on envoyer des inspecteurs du travail dans les maisons alors qu’on n’y arrive même pas pour les entreprises ? », s’interroge Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Un problème que reconnaît Jamal Rhmani et qui devrait être réglé par un décret portant sur la création d’un corps spécial chargé du contrôle. Autre grief : la future loi ne détaille pas les conditions de travail des employés adultes. Ainsi, le nombre d’heures de travail ou l’évolution du salaire par l’ancienneté ne sont, par exemple, pas abordés.
Pour l’heure, le débat sur cette loi est loin d’être terminé. La question centrale persiste. Comment arrivera-t-on à changer les mentalités des Marocains qui considèrent encore l’employé de maison comme un « moins-que-rien ».
Zakaria Choukrallah |