Pléthore d’établissements, d’écoles et d’universités privées se déclarent aptes à former les élites de demain sans bénéficier d’une accréditation de l’État. Un décret devrait bientôt remettre de l’ordre.
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Des pancartes, banderoles et affiches accrochées dans toutes les grandes, et même petites artères, de nouvelles institutions où les meilleures conditions d’enseignement et de brillantes carrières sont promises. C’est la saison des inscriptions dans les toutes nouvelles universités privées et désormais traditionnelles écoles et instituts payants d’enseignement supérieur. Et il y a foule ! Face à un enseignement public dont la réforme est sujette à caution, c’est sur le privé que nombre d’étudiants, et de parents, se rabattent. Mais dans quelle mesure cet enseignement répond-il aux exigences académiques ou à celles du marché ? Qu’en est-il des garanties, de formation comme d’embauche, offertes ? Et qui veille au (bon) fonctionnement ?
Où en est le secteur aujourd’hui
Ce sont notamment les questions auxquelles une conférence organisée lundi 5 juillet a tenté de répondre. L’occasion de comprendre où en est ce secteur aujourd’hui. Une idée principale s’est dégagée : c’est que le secteur a grandement besoin d’être régulé ! Yasmine Benamour, enseignante et directeur administratif de HEM a parlé même de « devoir d’éthique » vis-à -vis du public. La charte de l’Éducation et de la formation fixait, comme objectif quantitatif au secteur privé, 20 % des effectifs globaux d’étudiants à l’échéance 2010. Il en est à environ 7 %. Quand on sait par ailleurs que ne peut bénéficier d’une formation privée au Maroc qu’une minorité d’étudiants de la classe moyenne supérieure – ceux issus de la classe aisée se dirigeant automatiquement vers l’étranger –, on est en droit de se demander comment le secteur privé pourra atteindre cet objectif. L’EGE Rabat, école de gouvernance et d’économie, qui est un établissement privé créé par une fondation à but non lucratif, actionnaire unique de l’école et reconnu par l’IEP Paris, propose aux étudiants intéressés par les sciences politiques de suivre au Maroc une formation « de qualité », tout en faisant miroiter une troisième année – pour un étudiant sur trois – dans l’un des campus de sciences po à l’étranger (ce qui, reconnaissons-le, est vague comme perspective).
Les étudiants issus de la classe moyenne supérieure y trouvent leur compte, c’est une alternative aux voyages d’études coûteux dans des pays de moins en moins hospitaliers. Du pain bénit pour cette école comme pour tant d’autres. Pour Yasmine, fraîchement inscrite à l’EGE, « l’école est une bonne alternative aux études à l’étranger ». Mais le prix de ce confort reste élevé. « Il faut compter 65 000 dirhams par an de frais de scolarité, à peu près le même prix que les grandes écoles en France », rajoute l’étudiante. À la question « l’EGE est-elle une école privée ou publique ? », la jeune étudiante répond : « Privée, mais reconnue par la CDG. » C’est sans doute le nom de Mustapha Bakkouri, ancien directeur général de la Caisse et membre fondateur de l’école, qui a induit ce malentendu.
Najah 2009-2012
La tendance, et le flou de l’accompagnement, vient de s’élargir aux universités. Parmi celles-ci, l’université internationale de Casablanca, qui ouvre en septembre 2010. Pour ses initiateurs, cette nouvelle institution s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie de l’État, baptisée « Najah 2009-2012 », et vise à contribuer à la formation de profils adaptés au marché économique du pays. Comme les autres, l’université promet des troisièmes cycles à l’étranger et la garantie de l’emploi. Dans la même mouvance, et en étant créé et porté par l’ESC Grenoble et l’ESCA (École de management à Casablanca), le CEAM (Campus euro-africain de management) se veut un tremplin pour « former les futurs hauts potentiels africains » autour de trois principes : des managers responsables et respectueux de leur environnement ; des managers intégrant dans leurs préoccupations les spécificités des entreprises africaines ; des managers capables de saisir les opportunités de la mondialisation.
Le CEAM bénéficie du soutien de plusieurs partenaires associés : Strate College Designers, l’IPER (EM Normandie), CrossKnowledge, SAS et l’EMSI Grenoble. Les entreprises sont tout naturellement parties prenantes du CEAM, par l’intermédiaire du corporate club, en s’impliquant dans le développement du projet et en participant aux différentes instances (comité scientifique, comité stratégique ou comité de pilotage). Nous sommes visiblement face à un marché conscient de la demande et qui déploie moult publicités et marketing pour s’accaparer une part du pactole. Pour les enseignants d’HEM, le véritable problème de l’enseignement supérieur privé marocain vient du manque de réglementation et par conséquent du « flou » de ce que proposent réellement toutes ces écoles et ces universités privées qui ne cessent de proliférer. Le débat de fond est un débat sur la légitimité des établissements.
Concept d’État régulateur
Le secteur a besoin d’un État régulateur. Selon Hassan Sayarh, directeur pédagogique de HEM, le concept d’État régulateur doit être généralisé à tous les secteurs. « Une réforme du système éducatif est nécessaire, affirme-t-il. Si à l’heure actuelle, il existe un accord cadre pour les établissements privés, il est important de signaler qu’il n’y a pas de cahier de charges pour en réglementer le contenu. L’État ne joue pas son rôle de garde-fou et fait ainsi de ce secteur un secteur de business dénué de système de valeurs. » Ces universités privées s’inscrivent-elles, à défaut d’arbitrage des pouvoirs publics, dans un système politique global de passe-droits ? Pour Hassan Sayarh, forcément. N’étant pas « accréditées » par l’État, ces écoles et universités affichent d’autres formes de légitimité, parfois douteuses. Telle école est reconnue par tel établissement étranger en France, au Canada ou aux États-Unis, telle autre propose des masters, troisième cycle « automatique » dans ces mêmes pays, parfois dans des établissements prestigieux. Alors que visiblement ces mêmes établissements ne bénéficient pas de reconnaissance intrinsèque de l’État marocain.
Pour Taïeb Debbagh, secrétaire général du Département de l’enseignement supérieur, « un décret vient d’être promulgué en avril 2010 qui délimite les prérogatives des établissements de l’enseignement privé moyennant un cahier de charges. Ce décret permettra aux établissements de procéder à une demande d’accréditation de l’État aux écoles. Par le biais de cette accréditation, il offrira la possibilité, aux étudiants diplômés de ces établissements privés, d’avoir accès et équivalence à la fonction publique ».
Il s’agit en fait du projet de décret N°717-09-2 relatif à la mise en oeuvre des articles 51 et 52 de la loi 00-01 portant sur l’organisation de l’enseignement supérieur privé. Le retrait de l’accréditation est décidé par arrêté de l’autorité gouvernementale chargée de l’enseignement supérieur. Ledit arrêté est publié au bulletin officiel et affiché dans l’établissement concerné sur les lieux réservés à cet effet. Ce n’est que l’année prochaine que ce décret sera opérationnel. Une commission nationale se chargera alors d’analyser les différentes demandes d’accréditation. Pour l’instant, et comme l’ont signalé les enseignants d’HEM, il n’existe toujours pas d’établissement privé accrédité par l’État marocain. Dans cette expectative, les portes restent grandes ouvertes à tous les abus.
Bahaa Trabelsi |