Le démantèlement de la cellule dite du « Palestinien » rappelle non seulement que le terrorisme est toujours présent, mais aussi qu’il change de visage. Pourtant, l’opinion publique semble lassée. Certains vont jusqu’à crier à l’intox. Analyse.
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Le 21 juin dernier, le ministère de l’Intérieur annonçait l’arrestation de onze individus, notamment un ancien militaire, deux étudiants dont une jeune femme, un gardien, mais surtout... un certain « Darouich » leader de ce groupe. Un Palestinien établi au Maroc depuis 2002. L’information n’a rien d’anodin. Mis à part une cellule démantelée en 2002, de moindre enver¬gure selon les spécialistes, et dirigée par trois Saoudiens, nos bombes humaines ont toujours été marocaines ; ou plus rarement, les cellules étaient dirigées par des Marocains d’Europe.
Cette fois-ci, le chef présumé du réseau est non seulement étranger, mais il est également membre d’Al Jihad Al Islami, une organisation qui n’avait pas fait parler d’elle au Maroc avant cette annonce. Cette information interpelle les spécialistes de ces dossiers qui y voient un possible changement dans la cartographie du terrorisme marocain.
« De la production de terroristes maroco-marocains, sommes-nous passés à l’état de cible prioritaire des nébuleuses opé¬rant pour le compte d’organisations internationales ? », s’interroge Mohamed El Ayadi. Pour le politologue, la vocation des terroristes a changé, car la plupart des réseaux démasqués récemment s’affairaient principalement à former des combattants destinés au Jihad dans des pays comme l’Irak ou l’Afghanistan. Un constat partagé par le politologue et spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif : « Al Jihad Al Islami n’a en principe rien à voir avec Al-Qaïda. C’est une organisation qui se trouve en Syrie et qui s’est beaucoup rapprochée de l’Iran et du Hezbollah. Je me demande si les véritables objectifs de ces cellules ne sont pas politiques. » Et d’avancer l’exemple de la cellule de Belliraj et ses possibles connexions avec l’Iran.
Pourtant, si le sujet passionne les observateurs, l’opinion publique se lasse. C’est un fait : le terrorisme fait moins les gros titres de la presse. Et pour cause, depuis les attentats du 16 mai 2003, le Royaume vit au rythme des annonces de démantèlements de cellules terroristes. D’ailleurs, en l’espace de sept ans, une soixantaine de réseaux terroristes ont été appréhendés par les autorités et près de mille militants islamistes ont été mis sous les verrous. Faut-il en conclure que l’État en fait trop ? « Non », s’emporte El Ayadi, pour qui « la sincérité de l’État n’est pas à remettre en question ».
Pour la plupart, la logique sécuritaire a fait ses preuves car depuis le 16 mai 2003, le Maroc n’a pas vécu d’attentats de l’ampleur de ceux de Casablanca. L’État s’est également doté d’une technologie sécuritaire appréciable, qui a permis notamment l’arrestation du cerveau du 16 mai, Sâad Housseini, au moyen de la traque informatique et téléphonique. Qui plus est, le Maroc a intensifié la coopération internationale dans le cadre de cette lutte, ce qui a permis de débusquer des cellules aux velléités régionales. Des efforts qui ont même valu au pays un article élogieux publié le 15 juin dernier dans le magazine Forbes, qui a salué « la sagesse et la sérénité de l’approche (marocaine) dans la lutte contre l’extrémisme ».
Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la communication. À chaque démantèlement, l’opinion publique n’a droit qu’à un communiqué laconique. « Le nombre de coups de filet n’a d’égal que l’opacité qui les entoure. On ne sait rien de ce que fait l’État », s’emporte Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Après l’annonce et les enquêtes, les terroristes présumés sont présentés devant la justice. Là encore, les réponses apportées ne sont pas toujours satisfaisantes pour les militants associatifs. « Les procès ne sont pas équitables car des zones d’ombre demeurent bien après le verdict. L’affaire Belliraj en est l’illustration parfaite. On ne sait toujours pas avec exactitude ce qu’il est reproché aux six politiques », poursuit Ryadi.
Rétention d’information
Le nombre impressionnant d’accusations, le manque d’accompagnement médiatique et le doute que font planer à chaque fois les avocats sur les procès verbaux, troublent l’opinion publique. Au mieux, on n’est pas convaincu, et au pire, on ne prend plus au sérieux la menace terroriste.
L’État pèche-t-il par excès de zèle ? Le constat de l’AMDH n’est pas partagé par tous. Pour certains, la logique sécuritaire prime parfois sur le droit à l’information ! Étonnant d’entendre cela de la bouche d’associatifs, qui, tout en dénonçant, font preuve de « réalisme ». Leurs arguments ? Ils invoquent la raison d’État qui oblige à distiller l’information et l’efficacité de la stratégie antiterroriste marocaine.
Pour Abderrahim Mouhtad, président d’Annassir, association de soutien aux familles de détenus islamistes, toutes les informations finissent par paraître « louches » parce que tout le monde – pas seulement l’État – pratique la rétention d’information. « Nous avons reçu des familles qui nous ont induits en erreur alors qu’elles étaient au courant de l’activisme de leurs proches. Je ne dis pas là qu’il faut leur en vouloir, mais il faut se convaincre que la vérité est aux seules mains de nos sécuritaires. Cela ne nous empêche pas, en tant qu’associatifs, de réclamer le respect de la dignité des personnes lors des enquêtes, de la détention et de réclamer des procès équitables. »
Avec ces prémices de changement de vocation des cellules terroristes, la gestion médiatique est aujourd’hui le grand challenge auquel fait face le Maroc. De même que l’État a réussi à déjouer les complots terroristes, espérons qu’il réussira à convaincre l’opinion publique du risque terroriste.
Zakaria Choukrallah |