En réprimant lourdement Radio Mars et Radio Plus la semaine dernière, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle n’a pas fait dans la dentelle. Le couperet s’apprête aussi à tomber sur Hit Radio. Qu’est-ce qui explique la montée en puissance du « gendarme des ondes » ? Analyse.
***
Le ciel est tombĂ© sur Mars, la toute nouvelle radio spĂ©cialisĂ©e dans le sport. Lundi 31 mai, l’animatrice de l’émission « Mag Mars », qui accueillait ce jour-lĂ le rĂ©alisateur Hicham Ayouch, pose une quesÂtion anodine Ă son invitĂ© dans le cadre de sa rubrique « Portrait chinois » : « Si vous Ă©tiez un espoir (que voudriez-vous devenir) ? » Mal inspirĂ©, le rĂ©alisateur lui rĂ©pond en substance : « Ah...c’est beau, la prĂ©sidence de la RĂ©publique… du Maroc ! » Une demi-heure plus tard, la chaĂ®ne se fend d’un communiquĂ© oĂą elle qualifie les propos tenus par son invitĂ© de « graves », « d’irresponsables et d’irrĂ©vĂ©rents envers les constantes du Royaume » et dĂ©cide de maÂnière unilatĂ©rale l’arrĂŞt de son Ă©mission. Trop tard. Le lendemain, la sanction du CSCA (Conseil supĂ©rieur de la communiÂcation audiovisuelle), l’organe exĂ©cutif de la HACA, est sans appel : suspension totale de la diffusion durant 48 heures, doublĂ©e d’une amende de 57 000 dirhams.
Le mĂŞme jour, le Conseil des Sages ordonne la suspension des programmes de Radio Plus durant une semaine et le versement d’une amende de 30 000 dirhams. Motif : « Non-respect des dispositions rĂ©gissant la protection du jeune public. » L’émission « Bissaraha » avait diffusĂ©, lors de son Ă©diÂtion du 13 avril, le tĂ©moignage d’un enfant victime de violence sexuelle Ă 23h10. « Un tel agissement peut traumatiser Ă vie l’enÂfant », nous explique, sous couvert d’anoÂnymat, une source Ă la HACA.
La troisième sanction attendue concerne une nouvelle fois Hit Radio et son animaÂteur vedette Momo. Cette fois, le CSCA reÂproche Ă la chaĂ®ne d’avoir diffusĂ© une paÂrodie de la chanson Alors on danse, renomÂmĂ©e pour les besoins de la blague Hez el bot. « Nous avons remixĂ© ce morceau sans nous rendre compte que cela pouvait prĂŞter Ă confusion. En prononçant uniquement le dĂ©but de la phrase, cela peut donner l’imÂpression qu’il s’agit du mot “zob”. C’est reÂgrettable. D’ailleurs, aucun auditeur ne nous l’a signalĂ© », explique Younès Boumehdi, directeur de Hit Radio. Dans les couloirs de la HACA, on s’attend Ă une « sanction dure » cette fois-ci, « car il s’agit du troisième dĂ©rapage », nous confie notre source Ă la HACA (voir encadrĂ©). Le dossier est touÂjours entre les mains du service juridique et une dĂ©cision sera prise incessamment.
Plusieurs filtres avant la sanction
Que faut-il penser de cette avalanche de sanctions ? Tout porte Ă croire que l’insÂtance de rĂ©gulation des ondes montre les dents pour faire passer un message : quatre ans après la libĂ©ralisation des ondes et deÂpuis la seconde vague de licences, il n’est plus question d’être permissif envers les dĂ©passements. « La HACA prĂ´nait au dĂ©Âpart une approche pĂ©dagogique et proÂgressive, nous explique notre source sur place, mais dĂ©sormais, nous estimons qu’il y a suffisamment de cumul pour inauguÂrer une nouvelle Ă©tape : l’application juste et Ă©quitable de la loi. » Les propos tenus par Hicham Ayouch, juÂgĂ©s attentatoires au rĂ©gime monarchique, auraient prĂ©cipitĂ© le tour de vis opĂ©rĂ© par le gendarme des ondes : « La nature de plus en plus grave des infractions, comme l’atÂteinte Ă la monarchie, a poussĂ© les Sages Ă ĂŞtre beaucoup plus sĂ©vères pour Ă©viter que le pire ne se (re) produise », poursuit encore notre source. Ahmed Ghazali, le prĂ©sident de la HACA, apporte une nuance, expliquant qu’il ne s’agit pas d’être plus sĂ©vère, mais « plus rigoureux » : « L’approche pĂ©dagogique est toujours de mise, nous sommes toujours dans une relation d’explication et de justiÂfication avec les opĂ©rateurs. Le maĂ®tre mot, c’est qu’il s’agit d’un processus d’apprentisÂsage libre dans la responsabilitĂ© avec pour objectif l’installation de rĂ©flexes professionÂnels qui garantiront le respect des cahiers des charges », nous assure-t-il.
D’ailleurs, Ă la HACA, on insiste sur l’aspect « irrĂ©prochable » et « hyper verrouillĂ© » de la procĂ©dure. Avant de parvenir Ă l’opinion publique, les dĂ©cisions des Sages passent par plusieurs filtres. En gĂ©nĂ©ral, elles sont tellement bien Ă©tudiĂ©es qu’elles n’ont jaÂmais Ă©tĂ© dĂ©boutĂ©es par le tribunal admiÂnistratif, seule instance capable d’invaliÂder les sanctions du CSCA.
Modus operandi : les programmes phares des chaĂ®nes de radio et de tĂ©lĂ©vision sont scrutĂ©s, par thème, par les opĂ©rateurs du « dĂ©partement de suivi des programmes ». Trois unitĂ©s de suivi existent : radio, tĂ©lĂ© et « pluralisme ». Cette dernière section a pour vocation essentielle de vĂ©rifier si la part d’antenne rĂ©servĂ©e aux acteurs poliÂtique, syndicaux et Ă la sociĂ©tĂ© civile est Ă©quitable tandis que les deux premières passent au crible les propos tenus sur antenne.
Sanctions « pécuniaires » ou « extra-pécuniaires »
Quand une entorse au cahier des charges d’une chaĂ®ne est signalĂ©e, un rapport est rĂ©digĂ© puis envoyĂ© au directeur gĂ©nĂ©ral. Il est ensuite adressĂ© au « dĂ©partement juriÂdique » de la HACA. Les juristes examinent le manquement supposĂ© Ă l’aune de trois textes de loi : le Dahir portant crĂ©ation de la HACA, la loi 77.03 relative Ă la communicaÂtion audiovisuelle et le cahier des charges de la chaĂ®ne en question. Ce service rĂ©dige ensuite une note Ă l’attention du directeur gĂ©nĂ©ral qui saisit par Ă©crit l’opĂ©rateur afin qu’il lui fournisse des explications. Le diÂrecteur de la chaĂ®ne peut Ă©galement ĂŞtre convoquĂ© dans les locaux de la HACA avant que la question ne soit inscrite Ă l’ordre du jour de la prochaine rĂ©union du CSCA (te nue, sauf rĂ©union extraordinaire, les merÂcredis). Les Sages dĂ©libèrent le lendemain et prennent leur dĂ©cision (Ă l’unanimitĂ©). Elle est par la suite envoyĂ©e par fax Ă l’opĂ©Ârateur, puis publiĂ©e sur le site de la HACA et par communiquĂ© sur le fil de l’agence MAP et finalement au Bulletin officiel. Les sanctions peuvent ĂŞtre soit « pĂ©cuniaires » (une amende ne pouvant excĂ©der 1 % du chiffre d’affaires) ou « extra-pĂ©cuniaires » (dans l’ordre : avertissement, suspension de la diffusion, rĂ©duction de la durĂ©e de la licence ou son retrait dĂ©finitif).
Plus d’autocensure ?
De l’aveu mĂŞme des opĂ©rateurs, ce cheÂminement administratif est respectĂ© et fonctionne plutĂ´t bien. « Ă€ chacune de mes convocations, on m’a Ă©coutĂ© et on a pris en compte mes remarques. Les relations avec la HACA restent très bonnes et cordiales », affirme Younès Boumehdi. En coulisse pourtant, on reproche au gendarme des ondes sa propension Ă sanctionner de plus en plus lourdement les chaĂ®nes. Du cĂ´tĂ© de la HACA, on botte en touche et on estime que c’est aux radios de mĂ»rir et aux aniÂmateurs de devenir plus professionnels. Ce nouveau tournant opĂ©rĂ© poussera-t-il vers plus de rigueur ou plus d’autocensure, au dĂ©triment de la libertĂ© de ton ? Seul le temps (d’antenne) le dira…
Zakaria Choukrallah
 |