Une énième opération de police contre un baron de la drogue de Nador a mis à jour les connexions d'un réseau international où plusieurs sécuritaires et politiques de haut rang sont impliqués.
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L’arrestation de Najib Zhimi, le baron le plus sanguiÂnaire de l’histoire du traÂfic de cannabis au Maroc annonce-t-il le crĂ©puscule des mafieux ? Le 17 mai dernier, un communiquĂ© du ministère de l’IntĂ©rieur avait annoncĂ© selon la formule d’usage que « les services de sĂ©curitĂ© venaient de dĂ©manteler un rĂ©Âseau spĂ©cialisĂ© dans le trafic international de drogue, dirigĂ© par un Marocain, qui rĂ©Âsidait aux Pays-Bas ». On n’en saura pas plus, aucune autre information n’a Ă©tĂ© divulguĂ©e sur ce Marocain, ni mĂŞme sur les sĂ©curitaires de haut rang qui ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s dans le cadre de cette affaire. Et pour cause : mĂŞme le chef de la sĂ»retĂ© rĂ©gionale de Nador, Mohamed Jalmad, a Ă©tĂ© rappelĂ© en urgence Ă la DGSN. Ironie du sort, ce dernier avait lui-mĂŞme menĂ© l’opĂ©ration d’arrestation du baron de la drogue Najib Zhimi, l’homme par qui le scandale est arrivĂ©.
L’affaire remonte au 2 mai quand les forces de l’ordre ont fait irruption au domicile de l’intĂ©ressĂ©, Ă Nador, pour procĂ©der Ă la saisie d’une quantitĂ© de chira estimĂ©e Ă 7 500 kg, d’importantes sommes d’argent, de faux documents officiels et d’armes blanches. Najib Zhimi n’est pas un inÂconnu des services de sĂ©curitĂ©.
Des collaborateurs liquidés
Ce mafieux pur et dur avait la fâcheuse manie de rĂ©gler ses diffĂ©rends en envoyant ses dĂ©tracteurs dans l’autre monde avec une facilitĂ© dĂ©concertante. Son arrestation fait d’ailleurs suite Ă une sĂ©rie de liquidaÂtions de plusieurs de ses collaborateurs et de quelques individus accusĂ©s de jouer les indicateurs. L’homme Ă©tait si violent qu’il prenait plaisir Ă torturer ses victimes. C’est pour cela qu’il avait entraĂ®nĂ© dans sa chute un mĂ©decin, un pharmacien et un aide-soignant qui avaient participĂ© Ă maintenir en vie un certain M. Z., une des victimes de Zhimi, pour prolonger le supÂplice. Le corps de l’homme, dont le coeur avait fini par lâcher, avait Ă©tĂ© enterrĂ© dans une ferme Ă Karait Akelmane avant d’être dĂ©terrĂ© par les gendarmes. M. Z., cousin de Zhimi, Ă©tait aussi un de ses lieutenants. Il avait Ă©tĂ© liquidĂ© pour avoir empochĂ© plus de 12 millions de dirhams en deÂvises après une grosse opĂ©raÂtion de trafic.
Cette affaire a Ă©galement des reÂlents politiques car le cerveau du rĂ©seau serait un parlementaire de la ville d’Al Hoceima, ayant la double nationalitĂ© marocaine et hollandaise. Cet homme poliÂtique est d’ailleurs l’instigateur du divorce entre le parti Al Ahd de Najib Ouazzani et le PAM (Parti authenticitĂ© et moderÂnitĂ©) quelques semaines avant le premier congrès de ce dernier. Ă€ chaque fois qu’un rĂ©seau de trafic de drogue est dĂ©mantelĂ©, des associatifs et des parlementaires sont entraĂ®nĂ©s dans la vague. Les cas de ChaÂkib Khayari (associatif) et Tahar Toufali (professeur universitaire et prĂ©sident de la commune de Beni Chiguer), en dĂ©tenÂtion provisoire depuis six mois, et de Ayad Hadrati (commerçant Ă Ketama) en sont des exemples.
Selon des sources concordantes, c’est la fameuse arrestation – sans coordination avec les autres services – du baron et la saiÂsie de 7 fourgons, de plusieurs moteurs de bateaux pneumatiques, de radios Ă©metÂteurs et de 7, 4 tonnes de chira, dans un local du quartier Ared Ă Nador, qui est Ă l’origine du rappel du chef de la police de la ville, Mohamed Jalmad. « Après avoir reçu des informations, le district de NaÂdor a entrepris une vaste opĂ©ration pour encercler et arrĂŞter Zhimi », avait dĂ©clarĂ© Jalmad lors de l’opĂ©ration. Il avait mĂŞme eu droit Ă un passage au journal du soir sur la première chaĂ®ne.
Règlement de compte
Selon des sources informĂ©es, cette initiaÂtive avait failli faire capoter un vaste plan qui visait Ă faire tomber tout le rĂ©seau et remonter jusqu’aux commanditaires Ă©trangers. En effet, au mĂŞme moment Ă Nador, la BNPJ, par le biais du bureau de lutte anti-drogue, planifiait une vaste opĂ©Âration clandestine de filature du rĂ©seau de Zhimi. La DST et d’autres services de renseiÂgnements Ă©taient Ă©galement sur l’affaire. Selon notre source, ce n’est pas l’absence de coordination entre la PJ de Nador et la BNPJ qui a permis de dĂ©masquer le chef de la police de Nador, ni mĂŞme les rapports de l’antenne de la DST sur d’éventuels dĂ©Âbordements de la sĂ©curitĂ© dans la ville. Il y aurait des Ă©lĂ©ments plus graves dans cette affaire. D’autres sources privilĂ©gient la thèse d’un règlement de compte dont Jalmad auÂrait Ă©tĂ© victime. Il y a quelques semaines, des responsables sĂ©curitaires de Nador menaient une bataille, par voie de presse interposĂ©e, pour rĂ©gler leurs comptes. JalÂmad avait dĂ©clarĂ© Ă l’époque Ă la presse que les barons de la drogue voulaient sa peau ; seraient-ils arrivĂ©s Ă leurs fins ?
Actuellement, plusieurs Ă©lĂ©ments de la poÂlice sont en dĂ©tention provisoire Ă la prison de Oukacha sur ordre du procureur gĂ©nĂ©Âral. Pour sa part, la BNPJ auditionne touÂjours un commissaire de police, un caĂŻd de la rĂ©gion, le chef de brigade de Salwane et d’autres fonctionnaires de Nador.
La liste des interpellations reste ouverte. Le 20 mai dernier, le juge d’instruction de la Cour d’appel de Casablanca, qui instruit le dossier, a interrogĂ© plusieurs agents d’autoritĂ©, dont un caĂŻd ainsi que de nombreux officiers de la police et de la douane. Pour l’instant, la brigade naÂtionale de la police judiciaire enquĂŞte sur 40 personnes concernĂ©es par cette importante affaire. Parmi les individus soupçonnĂ©s de lien avec ce rĂ©seau figuÂrent un cadre d’une sociĂ©tĂ© privĂ©e Ă RaÂbat et une personnalitĂ© de Marrakech, qui seraient impliquĂ©es dans le blanchiment d’argent de la drogue…
Mohamed Madani |