|
Femmes célibataires, le grand dilemme
actuel n°49, samedi 29 mai 2010
|
|
Après 25 ans, les jeunes filles pas encore mariées sont pointées du doigt. Jolies, bardées de diplômes, sportives ou fêtardes, elles font souvent peur aux hommes.
***
Elles sont jeunes, jolies, bardées de diplômes, ont des postes à responsabilité et gagnent très bien leur vie. Elles ont tout pour être heureuses… Un seul hic, elles sont célibataires. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne vivent pas toutes de la même manière cette étape qui reste, pour la société marocaine, forcément transitoire. Une transition de plus en plus longue, puisque depuis quelques années, beaucoup de jeunes filles décident non seulement de terminer leurs études mais aussi de démarrer leur carrière avant d’envisager de se marier.
Pourtant, le cliché de la jeune fille qui, dès 25 ans passés, se met désespérément en chasse du conjoint idéal existe encore. Car ces nouvelles célibataires sont tiraillées entre le désir de « profiter de leur liberté » et la pression de la société qui les incite à se marier le plus vite possible. Hind, pas encore trente ans, cadre sup, et jalouse de son indépendance, n’y va pas par quatre chemins : « On n’existe pas, on n’est reconnue par la société qu’une fois mariée. Les célibataires sont mal vues, et si elles sont heureuses, c’est encore pire. » La sociologue Soumaya Naamane Guessous ajoute même que si, dans les milieux aisés, les jeunes filles sont désormais encouragées à faire des études, le plus souvent à l’étranger, le rêve de leurs parents reste « qu’elles retournent au bercail dûment diplômées, pour trouver un bon parti et fonder une famille ». En effet, une jeune fille peut avoir tout réussi (éducation, carrière, hobbies), si elle n’est pas mariée avant d’avoir atteint la fameuse « date de péremption, cette limite fatidique imposée par une société qui a subitement décidé qu’au-delà de 35 ans, une femme ne doit plus faire d’enfants, alors que nos grands-mères en ont fait jusqu’à la veille de la ménopause, elle a échoué », explique la sociologue.
Pour cette dernière, la société jette un « regard cruel » sur les célibataires. A tel point que certaines jeunes filles se remettent complètement en question ou perdent confiance en elles. Imane est dans ce cas. Cette ravissante jeune femme de 31 ans voit avec horreur approcher la « date limite », ses amies se marier les unes après les autres, et ne peut s’empêcher de penser « qu’il y a quelque chose qui cloche ». Les parents incitent donc leurs filles à mener de front leur carrière professionnelle et la recherche du gendre parfait, un « ould nass » d’un milieu socioculturel équivalent.
Rétrogrades Cependant, si de plus en plus de jeunes filles tardent à se marier, ce n’est pas forcément parce qu’elles privilégient le travail à leur vie sentimentale. C’est aussi parce que leurs priorités ont changé, souvent lors de leurs études à l’étranger, ce qui fait dire à certains « qu’elles sont trop difficiles ». En fait, elles cherchent un « ould nass » moderne qui partage leur vision du couple, « qui n’est pas limité par les traditions et qui n’est pas à la merci de sa mère. Or sous des dehors ouverts, les hommes peuvent devenir rétrogrades une fois mariés ou fiancés », explique la sociologue, qui résume la situation en disant que si les célibataires assument désormais leur modernité, leur environnement, lui, ne suit pas… « C’est toujours la même chose, raconte Asmâa, un médecin de 27 ans, dès qu’on est officiellement en couple, les remarques commencent : tu devrais moins sortir avec tes copines, tu ne peux pas t’habiller comme ça, la société veut que, etc. » Ce net décalage entre des hommes restés assez conservateurs et des femmes qui aspirent à un couple plus moderne explique que certains finissent par épouser une jeune fille « qui vient d’obtenir son diplôme, plus jeune et plus malléable » analyse la sociologue, tandis que d’autres voient leur célibat s’éterniser et leur patience s’épuiser.
Pression de la société, remarques blessantes, peur du qu’en-dira-t-on, parents qui refusent qu’elles vivent seules, autant d’éléments, donc, qui participent au malaise des célibataires. Mais si certaines hésitent alors entre baisser leurs prétentions et partir à la chasse au mari, ou encore choisir un Occidental dont les valeurs leur correspondent plus, d’autres décident de profiter tout simplement de leur liberté, même relative, et de ne plus vivre dans l’attente d’une hypothétique rencontre providentielle.
Amanda Chapon |
QUI SONT LES FEMMES CELIBATAIRES ?
Recherche mari Ă tout prix
Angoissées à l’idée de laisser passer le coche, certaines célibataires paniquent littéralement lorsqu’elles dépassent le seuil fatidique des 30 ans, parfois même avant. Souvent poussées par leur entourage, elles se mettent « en chasse ». La très jolie Imane sort ainsi chaque week-end, dans les endroits à la mode, où elle espère pouvoir trouver le « ould nass » qui plairait à ses parents et qui épaterait ses copines. Un homme qu’elle voudrait séduisant, sensible, et moderne. Le problème, c’est que jusqu’à présent elle n’a rencontré que des « grenouilles déguisées en prince charmant ». La prochaine étape, Sofia, elle, l’a déjà franchie. Cette brillante jeune femme qui travaille dans la finance n’a que 27 ans, et ne pense néanmoins qu’à la fameuse « date de péremption », qui se rapproche. A force de s’entendre dire qu’elle « est trop compliquée » par ses amies et sa famille, elle s’est persuadée que ses « chances de trouver un mari et de fonder une famille sont presque épuisées » et semble prête à dire oui à n’importe quel homme « de son milieu » qui la demanderait en mariage. Elle court donc les endroits branchés, accompagnée de sa cousine : « J’ai même tenté le chat, les sites de rencontres comme Meetic », avoue-t-elle en expliquant que le plus important pour elle c’est « d’avoir une chance de fonder une famille ». Du coup, beaucoup d’hommes assimilent ces trentenaires célibataires à des femmes prêtes à tout pour se marier, les décrivant comme étant à la recherche de « victimes », commente Soumaya Naamane Guessous…
Se marier, oui, se brader, non !
Si une majorité de célibataires ayant dépassé la trentaine s’inquiète de ne pas avoir trouvé chaussure à son pied, elle n’est pas pour autant prête à sacrifier ses valeurs sur la mida du mariage. Prenant leur mal en patience, ces jeunes filles font en sorte de s’occuper pour oublier leur frustration. « en attendant de rencontrer la bonne personne ». Sports, sorties culturelles et voyages à l’étranger entre copines, pendant lesquels elles peuvent se lâcher, faire la fête, vivre des aventures amoureuses sans craindre le tberguig et la ruine de leur réputation. Et pourtant, cela ne les empêche pas d’avoir le blues : « Il me manque quelqu’un avec qui partager certaines expériences, même si je suis parfois contente de ne pas avoir à gérer les problèmes que vivent mes copines mariées », avoue Ikram, cadre dans la finance de 35 ans, qui se décrit comme « passionnée et avide de découvertes ». Sportive, elle pratique le parachutisme. «Le problème, c’est que pour beaucoup d’hommes, la passion n’est pas une priorité, ils sont prêts à s’investir dans une relation pourvu que la jeune fille remplisse certains critères. J’ai des amis, qui ont fait ce choix ; après quelques années, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas partager de choses profondes. » Désespérant de trouver son bonheur avec un Marocain, Asmâa se voit plutôt partager sa vie avec un Occidental, ce qui ne pose pas de problème à sa famille. « Ils considèrent la femme différemment, son épanouissement est important pour eux, alors qu’ici, se révolte-t-elle, il faut plaire à la famille, être comme une œuvre d’art qui doit plaire à tous. »
CĂ©libataire ou bikhir !
« Mieux vaut être seule que mal accompagnée », c’est la devise qu’adoptent de plus en plus de célibataires qui apprécient leur liberté, quittant même le giron familial pour s’installer seules, en dépit du qu’en-dira-t-on. Depuis quelques années, raconte Soumaya Nouamane Guessous « je remarque de plus en plus de filles qui sortent en groupe dans des pubs, des restos : pas pour se faire remarquer ou draguer, juste pour s’amuser entre elles, et ça c’est nouveau. » Laïla, à 28 ans, est directrice commerciale et se décrit en riant comme une « célibattante ». Elle fait partie d’un groupe de 7 copines célibataires qui se réunissent régulièrement. Son surnom pourrait être « Runaway bride » puisque la jeune femme a dit « oui » à trois reprises avant de se rétracter. Peur de l’engagement ? « Non, plutôt un problème d’incompatibilité, je ne vois pas d’autres termes. Beaucoup d’hommes, même ceux qui sont allés étudier à l’étranger ne savent pas ce qu’ils veulent vraiment : au début, ils sont contents d’être avec une femme moderne mais finalement ils cherchent à la faire rentrer dans un moule. » Du coup, elle a pris un appartement, avec la bénédiction de ses parents. « Je suis heureuse, équilibrée, je ne cherche plus à rencontrer quelqu’un… » Pour Laïla, la liberté de voyager, d’aller à des concerts, de pratiquer des sports non conventionnels (elle fait du saut à l’élastique et espère passer son permis moto) compense largement la pression, bien réelle, de la société. |
Trois questions Ă
Soumaya Naamane Guessous, Sociologue
ACTUEL. Pourquoi des jeunes filles jolies et intelligentes ont-elles zautant de mal Ă trouver un compagnon ad hoc ?
SOUMAYA NAAMANE GUESSOUS. Parce que le profil de ces jeunes femmes célibataires, instruites et indépendantes, inquiète les hommes. Pour eux, elles sont d’excellentes partenaires en dehors du mariage (elles sont sportives, peuvent voyager, tenir des discussions, plaisanter avec eux, etc.). Elles épatent la galerie et leurs copains mais si avant le mariage, l’homme marocain prône l’égalité au sein du couple, il n’a pas été élevé dans cet esprit et une fois marié, consciemment ou inconsciemment, il cherche à s’imposer. Or, elles ne sont pas prêtes à abdiquer leur liberté chèrement acquise. Ce qui va provoquer des conflits au sein du couple : le partage des tâches ménagères au sein du foyer, la participation au budget, etc.
Sont-elles trop difficiles ?
Elles ont des problèmes d’adaptation. Elles sont tellement révoltées qu’elles refusent de s’adapter à l’environnement, à la réalité et au profil du mari qu’elles se sont choisi. Parfois c’est même vraiment exagéré, avec un refus de chercher le compromis, de faire des concessions. Parfois c’est juste qu’elles refusent l’hypocrisie d’hommes qui font l’amour tant qu’ils le peuvent mais qui exigent ensuite d’épouser une vierge. Ce sont des filles qui ne veulent pas qu’on leur parle de virginité même quand elles ont décidé de la garder.
Certaines clament être des célibataires heureuses ?
Oui, mais quand on creuse, on sent un malaise. Elles ne peuvent pas être complètement libres dans cet environnement. Elles vont être libres, à l’étranger, où elles vont trouver l’anonymat. Alors qu’ici, le jour elles sont libres, elles ont des responsabilités, mais le soir elles sont considérées comme un élément douteux, et elles n’ont pas la liberté d’aller où elles veulent avec qui elles veulent. Elles doivent se justifier, graisser la patte des flics pour qu’ils les laissent tranquilles, etc. |
|
|
|