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Sexe Ă  la marocaine,  entre hram et hchouma
actuel n°46, samedi 8 mai 2010
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« L’affaire Milouda » rappelle à quel point notre société est susceptible dès qu’il s’agit de sexe, alors que l’islam peut être lui-même plus ouvert. Comment expliquer cela et distinguer entre le « hram » et la « hchouma » ? Analyse.

***

Depuis un mois, Milouda est copieusement insultée et traitée d’impie par la vox populi. Cette militante de l’Association de lutte contre le sida (ALCS) et sa famille ont même été contraintes de quitter leur domicile à Casablanca en attendant que quolibets et insultes cessent. Qu’a fait cette femme, qui porte le voile islamique, pour subir la vindicte populaire ? Début avril, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation, elle s’est laissé filmer par l’AFP, un préservatif dans la bouche, expliquant à des prostituées comment convaincre leurs clients d’en porter lors d’une fellation. Ce simple « geste de sensibilisation » pour la militante a été très mal interprété par la presse et l’entourage de la femme. Argument : cette pratique serait « contraire à l’islam ». Les plus extrémistes l’ont cataloguée de « prostituée », tandis que les plus modérés y ont vu une incitation à peine voilée à la fornication. Selon le principe « la haya’ fi addin » (il n’y a pas de honte en matière de religion), rien dans l’islam n’interdit le geste de la militante. « Cette militante n’a rien à se reprocher. Elle n’a pas encouragé la prostitution, mais a cherché à en atténuer les risques et à éviter la propagation de maladies. Son geste est même conseillé d’un point de vue religieux », explique Abdelbari Zemzmi, député et fin connaisseur en charia (la loi musulmane), lui-même vilipendé pour avoir autorisé le recours aux poupées gonflables. Cet exemple est loin d’être isolé. On ne compte plus les polémiques suscitées par de supposés attentats à la pudeur, encouragements à des pratiques sexuelles « illicites », ou plus prosaïquement par des comportements sexuels tolérés (et parfois même encouragés) par la religion, mais frappés du sceau de la « hchouma » par la société.

Ritualisation de l’acte

Bien avant cette levée de boucliers, des militants islamistes avaient demandé de cacher le « sexe » des dessins sur les dictionnaires scolaires, d’autres ont réclamé de couvrir le « corps » des mannequins de vitrine à la minijupe un peu trop suggestive à leur goût… Sans être islamiste, beaucoup de Marocains s’interdisent la masturbation, grondent un enfant qui s’approche un peu trop de son entrejambe, s’offusquent des godemichés et préfèrent faire l’amour dans le noir, ritualisant ainsi l’acte sexuel. Comment distinguer le « hram » de la « hchouma » et qu’est-ce qui explique cette sensibilité à fleur de peau ? Du point de vue de l’islam, « toutes les pratiques sexuelles, mis à part la sodomie, sont permises pourvu qu’elles s’opèrent dans le cadre du mariage, résume Abdelbari Zemzmi, la religion musulmane est très permissive. Malheureusement, certaines fatwas sèment la confusion dans les esprits. Ces idées finissent par se répandre dans la société, la rendant moins tolérante envers des pratiques pourtant licites ». La psychiatre et sexologue Nadia Kadiri remarque que « l’énorme fossé entre ce que permet la religion et ce que s’autorisent les gens n’est pas propre à notre pays mais existe dans toutes les sociétés conservatrices où la religion est instrumentalisée ». Et d’ajouter : « Beaucoup de mythes meublent notre imaginaire collectif et inhibent la sexualité. »

Explosion sexuelle

Pour le sociologue Abdessamad Dialmy, la religion n’est pas totalement innocente en matière d’inhibition sexuelle. « Les salafites (qui se réclament du Salaf essaleh, ndlr) veulent donner l’illusion que la religion est très ouverte mais seulement incomprise arguant que l’islam autorise l’utilisation de godemichés, le jeu sexuel, etc. C’est oublier qu’elle interdit les rapports préconjugaux par exemple. » Toutes les pratiques sexuelles existent dans notre société, même les plus perverses, mais elles ne sont pas avouables car « la culture marocaine est une culture de honte et non de culpabilité », comme le précise Nadia Kadiri. On s’autorisera plusieurs aventures extraconjugales, le recours aux prostituées et même la sodomie mais, en parallèle, on continuera à réclamer une fille vierge pour le mariage et on refusera l’idée de parler ouvertement de sexe et d’être à l’écoute de son partenaire. « Notre société est patriarcale. L’objectif in fine est de contrôler la femme », explique Nadia Kadiri. Un constat partagé par le

sociologue Abdessamd Dialmy qui ajoute que « l’islam est plus ouvert en matière de sexualité masculine ». Pour ce dernier, la société marocaine est plus évoluée que la religion : « Il existe une rupture entre les pratiques sociales et les normes religieuses. Par exemple, la sexualité préconjugale avec ou sans pénétration est admise dans notre société. C’est ce qui me fait dire que le Maroc vit une explosion sexuelle. » Cela étant, les blocages psychologiques et le poids de l’interdit continuent de brider la sexualité des Marocains. « Les pratiques sont en retard au vu des droits sexuels et reproductifs. Il faut redéfinir l’acte sexuel en tant que pratique entre des adultes informés et consentants », conclut Abdessamad Dialmy. La transition sexuelle est douloureuse certes, mais elle est en route.

Zakaria Choukrallah

Société et religion, les points de discorde

Masturbation
Malgré ses vertus attestées (connaissance et maîtrise du coït), la masturbation est flanquée en arabe du sobriquet peu valorisant de « al âada siria » (l’habitude secrète). Au Maroc, on pense qu’elle provoque l’insuffisance sexuelle et propage les maladies. Un des rites de l’islam sunnite, le rite hanbalite, est tolérant envers cette pratique, et encore, uniquement concernant l’homme. Selon ce rite, la masturbation est un moindre mal et peut être pratiquée si elle permet d’éviter le péché suprême : la fornication. Les autres rites recommandent... de jeûner pour oublier le désir ! La masturbation féminine, passe, elle, à la trappe, ce que confirme Nadia Kadiri, qui reçoit plusieurs couples en consultation : « Ils n’évoquent presque jamais la masturbation féminine. Dans la conception marocaine, une femme ne se masturbe pas. »

Utilisation d’objets  et jeux sexuels
Contrairement aux chrétiens, les religieux musulmans, sauf quelques rares exceptions, autorisent le préservatif, « indispensable », selon Abdelbari Zemzmi. Par réalisme et grâce à la sensibilisation, les Marocains y ont de plus en plus recours, même si nombre d’entre eux en limitent l’usage par ignorance et pour « préserver les sensations ». L’utilisation d’objets, par contre, est beaucoup moins admise tout comme le jeu sexuel pourtant pratiqué par le prophète lui-même avec ses femmes. « C’est simple, mes patients n’en parlent jamais », remarque Nadia Kadiri. Pourtant, la religion n’y voit aucun mal. « C’est tout à fait licite, à la condition expresse que les deux époux soient d’accord », explique Abdelbari Zemzmi.

Fellation/cunnilingus
Là encore, la religion est restée muette sur la question. Tout ce qui a été dit sur ces pratiques relève de l’ordre de l’ijtihad. Et là, il y a à boire et à manger. Un petit tour sur les forums spécialisés où la question de la fellation est souvent soulevée : les conseils contradictoires fusent. De l’interdiction pure et simple, on passe à l’obligation de ne pas avaler le liquide précédant le sperme (la semence étant, elle, « pure ») et à l’autorisation explicite. Le cunnilingus passe moins bien. « Femmes et hommes n’ont aucun problème à pratiquer la fellation, mais le cunnilingus reste lui anecdotique. » Encore un domaine où le plaisir du mâle passe avant celui de la femme…

Sodomie
Le prophète Mohammed dit : « Ne pénétrez pas les femmes par leur anus. » La sodomie est la seule interdiction formelle de l’islam en plus du sexe hors mariage. Pourtant, elle est pratiquée très souvent par les Marocains (et les Marocaines) qui y voient une façon détournée de « préserver la virginité » (celle de l’hymen). « La sodomie est très répandue. Les hommes la demandent facilement à leur conjointe. Certaines femmes sont outrées, mais la plupart s’exécutent », constate Nadia Kadiri.

Zakaria Choukrallah

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