DĂ©fendue bec et ongles par la ministre, la stratĂ©gie de rĂ©forme de la santĂ© publique provoque une vĂ©ritable levĂ©e de boucliers pour son manque de rĂ©sultats. Partis de lâopposition comme professionnels sây mettent. DĂ©cryptage.
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Au Parlement comme parmi les professionnels du secteur, on ne parle que de ça. Mardi encore, la ministre de tutelle en dĂ©fendait le bien-fondĂ© et les bienfaits, non sans susciter des rĂ©actions. «âĂaâ», câest le bilan Ă mi-mandat de Yasmina Baddou, ministreââistiqlalienneâââde la SantĂ©, et son plan stratĂ©gique de rĂ©forme Ă©talĂ© sur 2008-2012. Dans ses nombreuses sorties comme dans un rapport-bilan confectionnĂ© rĂ©cemment (il a Ă©tĂ© rendu public le 19 avril), Yasmina Baddou met en avant ses actions. On retiendra la baisse de 10â% du taux de mortalitĂ© maternelle intra-hospitaliĂšre (260 dĂ©cĂšs en 2010 contre 288 en 2008). Lâobjectif Ă©tant de rĂ©duire la mortalitĂ© maternelle Ă 50 pour 100â000 naissances vivantes et la mortalitĂ© infantile Ă 15 pour mille naissances vivantes.
Lâennui, câest que la stratĂ©gie Baddou, trois ans aprĂšs son adoption, se conjugue toujours au futur. Lâun des rares chantiers concrets reste le volet liĂ© aux infrastructures (redĂ©marrage de 109 Ă©tablissements de santĂ© ruraux et crĂ©ation de 14 nouvelles structures), Ă lâĂ©quipement et Ă la baisse des prix des mĂ©dicaments (crĂ©ation dâune commission dĂ©diĂ©e et rĂ©vision des tarifs de 178 mĂ©dicaments). Autrement, tous les efforts du moment portent, toujours, sur lâorganisation de la maison SantĂ© publique. RĂ©sultat, des indicateurs toujours au rouge. DâoĂč la levĂ©e de boucliers des partis de lâopposition. Le rapport se voulait dâailleurs un moyen dâanticiper toute une campagne dâinterrogations. Mais il nâaura rĂ©ussi que peu, ou pas, Ă les contenir. Pas moins dâune trentaine de questions ont ainsi Ă©tĂ© posĂ©es, avec un record de dix «âinterpellationsâ» pour la seule sĂ©ance du mercredi 21 avril. Si la plupart des questions Ă©manaient des dĂ©putĂ©s PAM, mobilisĂ©s contre tous les secteurs gĂ©rĂ©s par des ministres Istiqlal, dâautres sont signĂ©s PJD, et mĂȘme⊠Istiqlal. Câest le cas pour une question sur les cliniques privĂ©es soulevĂ©e par Omar Hejira.
Chacun y va de ses critiques. Pour Ahmed Touhami, prĂ©sident du groupe parlementaire du PAM Ă la Chambre des reprĂ©sentantsâ:â«âLe bilan est catastrophique en tous points. A voir ne serait-ce que les disparitĂ©sâââpersistantesâââentre urbain et rural et tout lâĂ©cart existant entre la demande, chaque jour grandissante, et lâoffre, il est Ă©vident que nous ne sommes pas encore dans lâEtat de droit Ă la santĂ©.â»
Achats inutiles
InterrogĂ© par actuel, le dĂ©putĂ© cite, comme exemple de mauvaise gestion, le dossier de la grippe A. «âLe dĂ©partement de tutelle est intervenu bien trop tard pour installer un dispositif et procĂ©der Ă des achats de mĂ©dicaments et dâĂ©quipements qui se sont avĂ©rĂ©s aussi coĂ»teux quâinutilesâ»,remarque-t-il. Pour lui, la gratuitĂ© (ou prise en charge), dĂ©clarĂ©e des soins cache mal la prolifĂ©ration de la corruption et du noir. La santĂ© est dâailleurs Ă©rigĂ©e comme le quatriĂšme secteur public Ă ĂȘtre le plus infectĂ© par ce phĂ©nomĂšne. Abdellah Bouanou, dĂ©putĂ© PJD, le Monsieur SantĂ© au sein du groupe parlementaire du parti de la lampe va plus loin : «âToute la stratĂ©gie dĂ©clinĂ©e par le dĂ©partement de tutelle, ainsi que ses axes majeurs, ne sont rien dâautre quâun rĂ©sumĂ© des objectifs du millĂ©naire tracĂ©s par lâONU. Nous sommes devant un argumentaire qui ne cherche quâĂ Ă©pater les bailleurs de fonds internationaux, au grand dam dâune vĂ©ritable rĂ©forme.â» Contestant jusquâaux chiffres avancĂ©s sur la baisse de la mortalitĂ© maternelle et nĂ©onatale, Bouanou relĂšve que ceux-ci ne concernent que les accouchement intra-hospitaliers. «âEt dâaucuns savent que les accouchements continuent, pour une grande partie de la population, de se faire Ă domicile. Mais sur ce volet, nul moyen de trouver des statistiques.â»
Les vrais problĂšmes sont cependant ailleurs. De lâaveu mĂȘme de la ministre, le secteur continue de subir de plein fouet nombre de dysfonctionnementsâ: une rĂ©partition gĂ©ographique trĂšs inĂ©gale de lâoffre de soins, lâaxe Rabat-Casablanca monopolisant 50â% de cette offre et, surtout, un dĂ©ficit quantitatif et qualitatif en ressources humaines. Les Ă©tablissements publics de soins manqueraient Ă ce jour de 7â000 mĂ©decins et de 9â000 infirmiers. Autre dysfonctionnement de taille, lâabsence de complĂ©mentaritĂ© entre lâoffre publique et lâoffre privĂ©e de soins.
Retard de mise en Ćuvre
PrĂ©sident du syndicat national des mĂ©decins du secteur libĂ©ral, le docteur Mohamed Bennani Naciri retourne le constat contre ses propres auteurs. Il explique cette absence par «âlâinexistence dâune politique de santĂ©â». «âPour quâil y ait complĂ©mentaritĂ©, il faut sâabord installer un systĂšme dans lequel les deux secteurs peuvent communiquer. Or, câest loin dâĂȘtre le casâ», dit-il. RĂ©sultat, un privĂ© jugĂ© de qualitĂ© trĂšs supĂ©rieure et installĂ© dans les zones oĂč vit la population solvable, paradoxalement celles-lĂ mĂȘmes oĂč lâoffre publique est Ă©galement concentrĂ©e.
Autrement plus nuancĂ©, le docteur Abdeljalil Alami Greft, un des principaux artisans de lâAssurance maladie obligatoire, conseiller de lâancien ministre de la SantĂ© Abderrahim Harouchi et membre de lâĂ©quipe de rĂ©daction du rapport du cinquantenaire, pointe du doigt un problĂšme de cadence.
«âLe plan est dâune qualitĂ© remarquable avec des axes stratĂ©giques concrets et des objectifs quantifiĂ©s Ă lâĂ©chelle nationale. Reste Ă le mettre en place effectivement. Entre la planification et les actions, il faut accĂ©lĂ©rer la cadenceâ», nous dit-il au cours dâun entretien. Et il y a urgence. «âLe Maroc nâa pas encore rĂ©solu les maladies des pays pauvres, alors quâil sâapprĂȘte Ă affronter les maladies dites des pays riches, soit les maladies cardio-vasculaires, dĂ©gĂ©nĂ©ratives, psychiques. Dâautant que la rĂ©sorption de dĂ©ficits comme ceux cumulĂ©s dans le milieu rural ne coĂ»te pas cher dans lâabsolu. Ce qui coĂ»te cher, câest ce qui va venir », ajoute lâexpert.
Le luxe dâattendre est-il permis quand on sait que le budget allouĂ© Ă la SantĂ© a marquĂ© un bond annuel de 10â% dans les annĂ©es 2000 et encore un saut de 20â% annuel depuis 2008 avec, pour la premiĂšre fois, un budget de 11 milliards de dirhams pour 2010â? Rien nâest moins sĂ»r.
Tarik Qattab |