La polémique rampante autour de la venue d’Elton John à Mawazine, les accusations gratuites lancées à l’encontre d’un candidat de Studio 2M supposé homosexuel, la suspicion jetée sur « Mithly » le tout premier magazine gay marocain témoignent d’une certaine fébrilité. La chasse aux homosexuels semble rouverte. Enquête.
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En moins d’un mois, la presse vient de faire ses choux gras de trois polémiques autour du même thème : l’homosexualité. La sortie du magazine marocain Mithly, début avril, et de son site pro-gay (voir encadré), s’est accompagnée sans tarder d’une vive critique de la part des islamistes et des conservateurs. Voici quelques jours, c’est un jeune participant à la précédente édition de « Studio 2M » qui est vilipendé. Le crime de Nicolav, d’origine bulgare ? Avoir été soutenu par des militants gays sur Facebook. A trois semaines de son concert à Mawazine, c’est Elton John qui est descendu en flammes. Motif : « Les propos injurieux qu’il a tenu envers Jésus (qu’il considère comme homosexuel) », avance Mohamed Hamdaoui, président du Mouvement unicité et réforme (MUR), le bras idéologique du PJD.
Derrière cette actualité, une réalité. La formidable bataille d’idées à laquelle se livrent deux camps. Conservateurs d’un côté, laïcs de l’autre, autour d’une liberté individuelle particulièrement sensible : le droit de vivre et d’afficher ses orientations sexuelles. Les homosexuels marocains sont aujourd’hui de plus en plus visibles à travers Internet, la presse, et même une ONG qui leur est dédiée (Kif-Kif). Forcément, ils dérangent. « Le Maroc a fait le choix de la modernité et des droits humains, il est donc normal que des militants s’engouffrent dans cette brèche et réclament la reconnaissance de leurs libertés individuelles. Les Marocains ne sont pas devenus subitement plus homophobes, c’est juste que le tabou commence à se briser. C’est un bon indicateur ! », explique Khadija Rouissi, présidente de Bayt-Al-Hikma, qui avait soutenu les personnes arrêtées dans le cadre du prétendu mariage gay de Ksar El Kébir en 2007.
Optimisme
Cette levée de boucliers homophobe ne démonte pas les militants de Kif-Kif, l’association de défense des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels marocains, basée en Espagne, et qui compte 3 000 membres. Ils estiment « normal » que les islamistes et les conservateurs, « en manque d’argument », crient au complot. « Je suis en mesure de dire qu’il existe aujourd’hui une élite gay très active au Maroc et qui est prête à sortir dans les rues pour militer », déclare à actuel Samir Bargachi, coordinateur général de Kif-Kif.
Si l’on en croit son président, l’association a aujourd’hui plus de poids, et ses mots d’ordre sont désormais plus écoutés. « Cette année, nous avons demandé à nos membres de ne pas se rendre au Moussem Sidi Ali Ben Hamdouch. Résultat : il n’y a eu qu’une cinquantaine d’arrestations en 2010. Ce qui est peu, comparé aux années précédentes. En réalité, nous sommes contre la provocation », explique Bargachi. L’écrivain Abdellah Taïa, premier Marocain à avoir fait son coming out, partage cet optimisme. « En dix ans, pour désigner un homosexuel, on est passé des expressions “ chad jinssi ” et “ zamel ” à “ mithly ”. On a aujourd’hui un mot arabe neutre et digne. C’est une révolution. Le seul problème : on n’entend que ceux qui critiquent violemment l’homosexualité », nous confie-t-il. Si les militants gays marquent tant de points, pourquoi entend-on paradoxalement plus de propos véhéments à leur égard ? Khadija Rouissi y va de son explication : « L’homosexualité a toujours existé au Maroc. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les islamistes essaient de surfer sur le phénomène pour faire de la propagande et mobiliser les troupes. »
Lobby gay ?
Du côté des islamistes, on balaie du revers de la main toute tentative de politiser l’affaire. Pour le président du MUR, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un « complot » fomenté par un lobby marocain soutenu par l’étranger : « Le Maroc subit des pressions énormes pour être une passerelle à toutes les formes de déviances. Le soutien affiché à la perversion sexuelle et au prosélytisme en sont de bons exemples récents », s’insurge Mohamed Hamdaoui. Pour l’association de prédication, l’objectif de ce « lobby » est d’affaiblir les valeurs des Marocains. « Nous ne remettons pas en cause les choix des individus. Ces phénomènes maladifs ont toujours existé dans notre société. Mais nous sommes contre le fait de le revendiquer en public », affirme Hamdaoui. Reste qu’islamistes et progressistes s’accordent sur au moins une chose : il faut éduquer et sensibiliser davantage le grand public. Chacun avec ses armes, cela va de soi. Une première prise de conscience. En attendant l’indispensable débat.
Zakaria Choukrallah |
Mithly, un ovni dans le paysage médiatique
Depuis début avril, le Maroc est le premier pays arabe, africain et musulman à compter parmi ses publications… un journal homosexuel ! Mais qu’on ne s’y trompe pas, Mithly magazine n’a été imprimé qu’à 200 exemplaires à Rabat et est distribué sous le manteau pour éviter les ennuis avec la justice. En 19 pages, la publication (également téléchargeable sur Internet) adopte un ton docte et traite de sujets de fond qui intéressent la communauté gay marocaine : articles et commentaire sur les sorties du PJD, revue de presse, retour sur l’œuvre de l’écrivain Abdellah Taïa, etc.
Doté d’une maquette simple voire simpliste, le nouveau magazine fait dans la sobriété et n’ose pas (encore) le nu ni la provoc. « Les médias marocains véhiculent une image négative des homosexuels, c’est pour cela que nous avons décidé de créer ce site », explique Samir Bargachi, le directeur de la publication. Les premiers retours des lecteurs ? « Nous avons été vivement critiqués par nos détracteurs classiques, mais nous étions ravis du soutien des associations et de la presse progressistes. Quant à l’Etat, c’est silence radio », poursuit Bargachi. Le prochain numéro de Mithly sera consacré aux taux de suicide élevé dans la communauté gay. Un numéro queles islamistes ont déjà demandé d’interdire… |
QUE PENSEZ-VOUS DU PREMIER SITE HOMO MAROCAIN ?
Amina Bouayach. Présidente de l’OMDH Ce site ne devrait pas poser problème. La criminalisation de l’homosexualité n’a jamais rien donné et ne donnera jamais rien, car il s’agit d’une orientation individuelle. Reste à savoir quelle est la capacité de notre société à intégrer les mœurs des autres...
Simo Benbéchi. Présentateur TV Je suis pour la liberté d’expression mais contre « la provoc ». Tout le monde a le droit de s’exprimer à condition de respecter la liberté des autres. Aller dans le sens contraire du courant ne résout rien et ne rime à rien...
Khouloud Kebali Sajid. Journaliste et animatrice Le fait qu’il existe un tel magazine ne me choque absolument pas, il constitue une voix parmi tant d’autres. Nous devrions plutôt nous focaliser sur les gens qui font que ce pays n’avancera peut-être jamais : les corrompus, les criminels, les pédophiles et les terroristes !
Hind Chaouat. Photographe de mode Je pense que ce site est plus de la provocation qu’autre chose et en plus il est mal fait. S’ils veulent faire un site gay, qu’ils aient au moins la décence de faire quelque chose de beau, car les gays ont en principe beaucoup plus de goût que ça.
Momo. Animateur radio Personnellement, ça me laisse indifférent. Tant que ce site ne touche pas aux libertés des citoyens, je ne pense pas que ça puisse poser problème.
Propos recueillis par S. D. C. |
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