Le Maroc est un pays en proie aux séismes. Observer les tremblements de terre que l’on ne ressent parfois même pas, c’est le travail d’une dizaine de scientifiques à Rabat. Visite guidée de l’Institut national de géophysique.
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Un chiffre à vous faire trembler : le Maroc subit annuellement une trentaine de séismes ressentis… et près d’un millier qui passent inaperçus ! Ces mini-secousses ne sont peut être pas perçues par le commun des mortels, mais elles sont épiées minute par minute et 24h sur 24 par les équipes de l’Institut national de géophysique (ING), qui existe depuis 1988.
« Nous sommes classés mondialement dans une zone à sismicité moyenne. Cela dit, c’est une sous-estimation des risques sismiques. Le risque d’une catastrophe n’est jamais à écarter », explique Nacer Jabour, responsable alerte et gestion de crise à l’ING. Une mission à haut risque qui jure avec le côté champêtre du siège de l’Institut.
Situé dans le quartier universitaire El Irfane de Rabat et à l’intérieur de l’annexe de la faculté des sciences, l’ING a un air de laboratoire de recherche de campagne. Deux gigantesques paraboles sont plantées dans le grand jardin de l’institut. Elles servent à recevoir les données envoyées par satellite et captées par une trentaine de stations disséminées aux quatre coins du Royaume.
À l’entrée de la petite bâtisse d’un étage, deux écrans LCD affichent une carte du monde et des relevés, véritables électrocardiogrammes en temps réel du territoire national. Au fond, plusieurs cylindres tournent inlassablement sur eux-mêmes. « Les cylindres, c’est le système analogique que nous remplaçons au fur et à mesure par le système numérique. Dans deux ans, nous aurons une quarantaine de stations entièrement numériques », s’enorgueillit Nacer Jabour.
Téléphone rouge
L’ambiance est plutôt calme ce jour-là . Mais il ne faut pas s’y fier. « Si une secousse majeure est détectée, tous les téléphones se mettront à sonner ! Il faudra rassurer tout le monde », explique notre sismologue. En tout, l’institut dispose d’un standard, d’un fax, de trois lignes rouges avec le ministère de l’Intérieur, la sûreté nationale, la gendarmerie et d’une radio pour rester en contact avec la protection civile, car en cas de séisme, les lignes téléphoniques sont parfois coupées.
Le matin de notre visite, l’écran affichait un gros cercle jaune au milieu du pays et un de plus petite taille dans l’extrême Sud. « Le cercle jaune est effectivement un séisme d’une magnitude de 3,1 sur l’échelle de Richter. Il a été enregistré le 28 mars à 14h45 dans le Haut Atlas, aux environs de Marrakech. Le cercle en bas est de moindre importance », décrypte notre sismologue.
Quelques minutes plus tard, alors que nous nous apprêtions à quitter le centre, un autre mini-séisme est enregistré, cette fois-ci dans la région de Nador-Al Hoceima. Doit-on pour autant plier bagage et nous réfugier dans le Sahara, la région du Maroc la moins en proie aux tremblements de terre ? Notre réaction de panique fait sourire les scientifiques de l’ING, accoutumés depuis vingt ans à ce genre de secousses. Cela étant, le Maroc est un pays où le risque zéro n’existe pas. Situé à l’intersection de la plaque tectonique africaine et eurasiatique, une catastrophe telle que le tremblement de terre d’Al Hoceima de 2004 et d’Agadir en 1960 n’est pas à écarter.
Se préparer
Peut-on prédire quand cela va arriver ? « Personne ne peut prévoir l’arrivée d’un séisme et ce malgré toutes les avancées technologiques. Tout ce que l’on peut faire, c’est nous préparer », répond catégoriquement Nacer Jabour. Un code de construction parasismique doit en principe être appliqué à toutes les constructions du Royaume. Il relève de la responsabilité des bureaux d’études, qui doivent choisir des matériaux adaptés et éviter, par exemple, les immeubles avec magasins au rez-dechaussée, si répandus, qui ont tendance à affaiblir les édifices. Dans les faits, tous les bâtiments ne sont pas aux normes, même si certains promoteurs immobiliers ont fait du respect des normes antisismiques un argument de vente.
Risque de tsunami
La population devrait être également entraînée à réagir en cas de catastrophe (voir encadré), ce qui, dans les faits, est quasi inexistant. Pire, la position géographique du Maroc le rend particulièrement en proie aux tsunamis, ces raz-de-marée provoqués par les tremblements de terre sous-marins.
« En 1755, un tsunami a balayé les côtes du nord du pays et a eu un impact sur toutes les villes du littoral méditerranéen. Nous n’avons pas assez de données de l’époque, mais si ça se trouve, il était beaucoup plus puissant que le séisme d’Agadir », analyse Nacer Jabour. De plus, le Maroc est proche de la faille, ce qui ne nous laisse que peu de temps pour réagir à une alerte tsunami. Si le risque est autant présent, pourquoi ne semble-t-on pas s’en préoccuper ? « C’est une question de culture et d’histoire sismologique. Celui d’Al Hoceima devait pourtant nous servir d’avertissement », conclut notre sismologue. Sans être alarmistes, les scientifiques de l’ING préconisent la prudence. Avec quelques réflexes simples, le pire peut être évité. À nous de ne pas être des géants aux pieds d’argile.
Zakaria Choukrallah |