Pour relancer son économie, Chaouen mise tout sur l'écologie. Pari risqué mais vital. Reportage.
Rachid ne pourrait pas quitter Chaouen. Une « petite bourgade » de 50 000 âmes accroché à flanc de montagne et soumise aux lois de la nature sur plus de 200 000 hectares. Il a pourtant grandi dans la frénétique Casablanca des années soixante où son père est ouvrier en usine. Chaque dimanche, ce papa emmène ses cinq fils au jardin et leur fait ramasser les vers de terre en échange de quelques dirhams. « J’étais content, je m’achetais un yaourt et sans le savoir je prenais mes premiers cours de lutte biologique ! » Puis il y eut Madame Bardi. Cette professeur de sciences et vie de la Terre le « dope » littéralement en emmenant toute sa classe au grand air. Voilà comment, il y a vingt-six ans, Rachid Moumou décide de se faire embaucher comme professeur de sciences et vie à Chaouen et d’y cofonder le premier Club de l’environnement. Et comme Madame Bardi, il donne cours côté jardin. « Les arbres plantés par mes élèves mesurent aujourd’hui plus de trente mètres » et le club a fait des petits : il existe plus de 200 associations et clubs « écolo » dans la région, un record national. Efficace ? « Allez donc voir Salwa et son équipe, demandez l’ATED. » La quoi ? « L’Association terre et développement. On voit que vous n’êtes pas du coin... » Ce mercredi-là , il fait beau, et dans un quartier calme de la ville, une maison attire effectivement l’attention par un incessant va-et-vient. à l’intérieur, c’est le nettoyage à grande eau, à cinq jours du printemps. Entrer là , c’est bénéficier d’une leçon de persévérance et comprendre qu’à Chaouen, l’environnement est considéré comme une valeur sûre depuis plus de vingt ans.
Citoyens au jardin !
Sans rendez-vous ni invitation, Salwa se fait un plaisir de présenter les lieux et le programme. « Nous sommes vingt-cinq permanents accompagnés d’une trentaine de bénévoles, filles et garçons bacheliers ; nous étudions la faune et la flore régionales pour mieux sensibiliser les élèves habitant au cœur des parcs nationaux. »
Les cordonniers étant les plus mal chaussés, les écoliers méconnaissent souvent les plantes et les espèces vivant dans leur entourage. Quant à s’aventurer pour savoir ce que recèle la montagne, c’est carrément le grand voyage. L’équipe associative emmène donc les enfants du pays, trois fois par an, en sortie écologique. Résultat : les petits disputent papa qui jettent ses papiers par terre et les plus grands ont la main verte.
Ilias entre dans le bureau. L’expert en écotourisme annonce la bonne nouvelle : « Deux des quatre gîtes ruraux prévus à Bab Taza sont prêts, avec des jeunes formés à la cuisine et au service. à la campagne, les gens n’ont aucune idée de la richesse qui les entoure, encore moins comment la mettre en avant pour améliorer leur quotidien. Alors on explique : l’écotourisme est aujourd’hui un fabuleux moyen pour protéger ces familles et gagner de l’argent. » évidemment, dit comme ça... Loin du flot des colloques environnementaux, le message est, ici, concret et précis, donc compris.
Dans les couloirs, une trentaine de petits hommes verts ornent les murs. « Ce sont les photos de notre Carnaval vert : tout le monde se grime et traverse la ville ; on jardine, on nettoie les rues. Chaouen a d’ailleurs gagné le premier prix de Ville propre du Maroc en 1984 ! » Il y a donc vingt-six ans. Encore. Est-ce l’air de la montagne qui nous gagne ? Non, c’est un fait : à Chaouen, l’environnement est aussi implanté que l’olivier ; c’est une culture qui ne date pas d’hier.
Sensibiliser les Ă©lus
Bientôt 16 heures, le maire reçoit tour à tour des conseillers et des citoyens. Tiens ? « L’ancien président de la Commune avait deux bureaux : celui de tous les jours à Rabat, et son annexe à Chaouen ! », s’indigne un administré. « Autant dire que pendant trente ans, il n’était jamais là et que depuis les municipales, il n’est jamais revenu. » Et le nouveau maire ? « Il est là . » Bon début. Mohamed Sefiani a la quarantaine et l’humeur joviale. Rachid, notre prof écolo, entre dans son bureau et les deux hommes ont visiblement plaisir à se voir. « Je l’ai toujours dit : avant de sensibiliser les élèves et la population, il faut sensibiliser les élus. J’ai appris la semaine dernière que le conseil municipal voulait déclarer Chaouen éco-ville, j’étais très surpris. »
Attirer le chaland
Pour le maire, c’est politiquement intelligent. Ce Tétouanais connaît la région comme sa poche et Chaouen ne brille guère pour satisfaire une carrière ambitieuse. « Chaouen n’a pas d’industrie, peu de tourisme et notre agriculture profite surtout à Tanger et à Tétouan. Devenir une éco-ville, c’est promouvoir nos campagnes, notre artisanat, notre patrimoine, et donc, développer le tourisme ! », annonce tout sourire Mohamed Sefiani. Tous ces espoirs écolos simplement pour attirer le chaland ? « évidemment, nous confirme au dîner Jabir El Hbabi, gîteur. écologie, économie, social, c’est le principe même de l’interaction ville-campagne. Valoriser le terroir de la région c’est nous valoriser tous ! » Il dépose une assiette de fromage frais, de tapenade et de zaalouk en attendant le tagine de chevreau aux figues fraîches.
Mais vu le contexte national, comment savoir si ce discours tient plus de la langue de bois (d’olivier) ou de la vraie fibre (végétale) écolo ? Le maire parle durée. « Nous avons entamé des démarches structurantes comme l’obtention d’une formation unique au Maroc : en septembre s’ouvrira à Chaouen la première promotion universitaire sur l’environnement et l’écotourisme. Nous ouvrons deux classes. » Le hammam de la ville doit aussi troquer son four à bois pour l’énergie renouvelable, la nouvelle salle polyvalente attend ses panneaux solaires et aucun carrelage ne sera désormais posé en ville s’il n’est pas en pierres taillées de la région. « à terme, je veux aussi faire classer Chaouen au patrimoine immatériel de l’Unesco. Nous soutenons cette candidature en jumelage avec des villes espagnole, grecque et italienne. » Mohamed Sefiani en profite pour faire découvrir la ville aux voisins méditerranéens, c’est toujours cela de pris.
Rachid n’est pas né de la dernière inondation, mais il y croit. « J’ai bien senti le changement. Je profite de l’occasion pour faire part de mes rêves. Le premier date de mon voyage à Strasbourg quand j’ai découvert le quartier de La Petite France. » Il se dit qu’en préservant une architecture traditionnelle avec des ruelles fleuries et une nature valorisée, on attire le vacancier. Il faut donc s’occuper de la médina de Chaouen. Idem quand, à New York, il découvre le quartier de Little Italy : « Cette petite cité typique est dans tous les guides ! » Et quand enfin, il admire près de Broadway ces petits jardins et autres espaces verts entretenus par des bénévoles, il est sûr que Chaouen peut le faire, parole d’expert.
Chaouen en campagne
La différence entre un coup de pub et un projet, c’est la pérennité. Les deux étant compatibles. Le maire lance donc les festivités à l’occasion de la Journée internationale de la Terre. « Pendant une semaine, la ville aura son Carnaval vert, une grande journée de randonnée à travers la région, des tables rondes ouvertes avec des invités étrangers ou encore des concours de photographies et de ruelles propres et fleuries de la médina. Médina que nous repeindrons de pied en cape, à la chaux et au bleu de Chaouen, en début de semaine. » Un Carnaval vert ? Du ramassage de déchets ? Des enfants en rando ? ça nous dit quelque chose. Tout comme le rafraîchissement de la médina qui se fait traditionnellement chaque année. L’idée du maire est claire : les démarches citoyennes ont fait leur preuve, aux autorités de valoriser ce noyau dur pour que la ville en récolte les fruits.
Jeudi 8 avril, 10h30, plus qu’une semaine avant les festivités. C’est une grande journée pour le maire qui veut impliquer les 28 élus municipaux dans sa démarche. Il entend officiellement déclarer Chaouen « Ville écologique » en adoptant une charte. PAM, PJD, USFP, Istiqual… certains demandent des précisions, faussement méfiants. Puis vient le vote : la charte est acceptée à l’unanimité. Deux jours plus tôt, Chaouen a signé un partenariat avec la ville de Grenade pour la création d’un Centre de la mémoire et du patrimoine djebala. Le projet est soutenu par l’Union européenne. « Maintenant il faut s’assurer de l’accompagnement des populations à long terme, c’est ça le vrai développement durable », insiste Jabir qui vient, à propos, de lancer son association environnementale du pays djebala et étudie un projet de village touristique écologique. Un accompagnement d’autant plus vital que la politique « cannabis zéro » a littéralement bouleversé l’économie rurale ; et à l’heure où le kilo de tomates est vendu trente dirhams à Chaouen, il n’est plus possible de laisser la campagne sans soutien.
Les pieds sur terre
à 35 minutes de Chaouen, près des hauteurs du village de Tanaqoub, Mohamed finit sa route à pied par la piste. Il possède un petit gîte en contrebas. « Le maire est venu déjeuner il y a quelques jours et m’a expliqué ce qu’il voulait faire. Moi, je ferai tout pour suivre le mouvement. » Auquel il contribue déjà largement. Cette semaine, il ne sera pas de la fête à Chaouen ; Rabat a fait appel à lui pour témoigner à l’occasion de La Journée de la Terre. Savoureuse fierté. Mais en bon Chaouni, Mohamed garde les pieds sur terre. Il a déjà entamé les travaux d’un second gîte à quelques sentiers du premier, un gîte agro-écologique, avec son propre potager bio.
Maud Ninauve |