Les Amazighs marocains ont reçu le représentant de l’Azawad. Quand il s’agit de droits culturels et d’identité, les Amazighs se montrent solidaires.
La petite salle exiguë du club de la presse de Rabat accueille un invité pas comme les autres ce jeudi 18 octobre. Mossa Ag Attaher fait son apparition, un chèche – le turban bleu des Touaregs – enroulé autour de la tête. Il s’installe devant la cinquantaine de personnes venues l’écouter, pour la plupart des militants amazighs. Derrière lui, le drapeau amazigh arborant la lettre Yaz en alphabet tifinagh côtoie le drapeau marocain.
Le moment est solennel. Les Amazighs du Maroc vont faire la connaissance du coordinateur de l’action diplomatique du MNLA, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad.
Et l’Azawad, c’est tout simplement un nouvel Etat qui regroupe près de deux millions de Touaregs. Il s’est proclamé indépendant unilatéralement le 6 avril 2012. Aucun pays ne reconnaît encore ce territoire d’un peu plus de 800 000 km2 niché au nord du Mali, en proie à l’activisme des groupes terroristes d’Al-Qaïda et de Ansar Eddine qui contrôlent les grandes agglomérations que sont Gao et Tombouctou. La légitimité de l’Azawad est bien entendue rejetée par le Mali qui s’estime souverain sur son territoire. Une situation confuse que les diplomaties marocaine, européenne et africaine ne tranchent pas, et qui pourrait bientôt donner lieu à une intervention militaire. Cette confusion ne concerne pas les Amazighs qui, eux, ont choisi leur camp. Le mouvement berbère soutient la « libération » de l’Azawad et l’affiche sans complexe.
« Nous soutenons le dossier de l’Azawad depuis 2006 car nous défendons les Amazighs partout dans le monde », nous explique l’organisateur de la rencontre, Khalid Zirari, vice-président du Congrès mondial amazigh, la plus grande organisation non gouvernementale internationale qui regroupe la majorité des associations amazighes.
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Tifinagh sur le sable
« Les Touaregs avaient proposé l’autonomie et le partage des richesses mais leurs revendications ont toujours été rejetées. Alors oui, l’ensemble du mouvement amazigh les soutient à l’unanimité », confirme Ahmed Assid, philosophe et militant amazigh, membre de l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe).
Mossa Ag Attaher prend la parole. Il minimise la puissance des mouvements islamistes, explique que les Azawadiens prônent la laïcité, l’égalité homme-femme et ne comptent pas renoncer à leur indépendance. Des valeurs universelles auxquelles la plupart des mouvements amazighs de la région adhèrent. L’assistance écoute religieusement ce diplômé en anthropologie doublé d’un excellent orateur. « Nous avons des liens historiques et de sang avec le Maroc. Nous appelons le Royaume à jouer son rôle », affirme Ag Attaher, qui avoue cependant n’avoir aucun contact avec le Maroc officiel.
De quels liens parle-t-il ? Il y a tout d’abord le tifinagh, alphabet adopté officiellement par le Maroc et l’Algérie, que le peuple nomade « azawadien » a préservé à travers les âges. « Les enfants dessinent dès leur enfance les lettres sur le sable. Elles leur sont transmises par leur mère », explique Mossa Ag Attaher. La langue des Touaregs, le tamasheq, est aussi très proche du tamazight parlé au Maroc.
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Casablanca, capitale amazighe
Si la solidarité amazighe est si forte, c’est qu’elle trouve ses racines dans cet héritage, celui de « Tamazgha », la terre de Numidie, autrement dit l’Afrique du Nord. « Quand un Amazigh libyen vient au Maroc, nous parlons exclusivement en amazigh. Il suffit d’une heure de conversation pour surmonter les petites différences de prononciation ou les quelques mots dissemblables », explique Mounir Kejji, militant amazigh. Ce dernier connaît bien les liens qui unissent les Berbères du continent ; il s’est rendu à Siwa, une petite oasis dans le désert égyptien où vivent quelque 27 000 habitants… amazighs !
La terre amazighe s’étend en effet des îles Canaries où la langue berbère survit dans quelques termes guanches, jusqu’à Siwa en passant par le Maroc, l’Algérie, la Libye, la Tunisie et, dans une moindre mesure l’Egypte.
Mais l’amazigh est particulièrement présent au Maroc, où la culture et la langue s’étendent du nord au sud. « Casablanca est sans conteste la plus grande ville amazighe du monde », résume Mounir Kejji.
Mieux, grâce à la lutte du « mouvement culturel amazigh » marocain et à la relative ouverture du régime envers cette mouvance, le pays est désormais le plus avancé sur la question. « La monarchie a été plus souple que le régime militaire algérien et a su trouver un consensus », explique Ahmed Assid. Le plus grand acquis à ce jour étant la constitutionnalisation de l’amazigh comme langue officielle. Cela étant, au-delà des revendications culturelles, l’Etat est plus méfiant. « Mis à part le Mouvement populaire qui est un parti proche du Makhzen, aucune formation amazighe n’est tolérée. Pourtant, nous avons bien deux partis panarabistes, l’USFP et l’Istiqlal, et plusieurs formations islamistes », ironise Mounir Kejji.
Tout de suite après le Maroc, on trouve l’Algérie où le mouvement amazigh se caractérise par son aspect très politisé et une lutte parfois dans le sang. Le mouvement a gagné ses galons après le second Printemps berbère en Kabylie en 2001, avec la reconnaissance du tamazight comme langue nationale.
C’est cette histoire faite de lutte, de déni d’identité et d’un héritage commun qui explique aujourd’hui la solidarité amazighe. « Après l’indépendance des Etats de l’Afrique du Nord, ces derniers ont été construits sur le modèle jacobin centralisateur qui voulait absolument effacer les différences. Cela a fini par éveiller les consciences en les poussant vers le rapprochement », analyse Ahmed Assid.
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L’internationale amazighe
Après le Printemps arabe (les Amazighs préfèrent le mot printemps tout court), la (re)construction de Tamazgha poursuit, avec le renfort dorénavant des Amazighs libyens et tunisiens longtemps réprimés par la dictature. « Depuis la chute de Kadhafi, les associations amazighes reçoivent chaque semaine des dizaines de Libyens qui demandent des formations, des documents, etc. A l’époque de la dictature, ils ne pouvaient même pas rapporter un livre ou venir au Maroc sans être inquiétés. C’est à un véritable éveil qu’on assiste », raconte Assid. Le même phénomène se produit en Tunisie, où les associations « poussent comme des champignons », selon Mounir Kejji. Les Amazighs tunisiens ont désormais une figure connue, la militante Khadija Ben Saâdane, présidente de la toute nouvelle association amazighe de Tunisie, qui a organisé le premier symposium berbère depuis l’indépendance de son pays.
La coopération s’accélère donc et les canaux de communication se diversifient. Mais que veulent les Amazighs de tous les pays ? « La situation diffère d’un pays à l’autre », explique Assid. Au Maroc, l’ouverture politique permet aux Amazighs d’en demander plus : l’officialisation concrète de la langue dans l’enseignement et l’administration, le droit de donner des prénoms amazighs aux enfants, etc. En Tunisie et en Libye, il s’agit plus de reconnaître les droits d’une minorité, tandis que pour les Touaregs, la situation semble beaucoup plus complexe et embourbée dans le conflit armé.
Zakaria Choukrallah |