Le printemps arabe va-t-il se traduire par une régression du droit des femmes ? C’est la crainte partagée, cette année, par les participantes du Women’s Tribune à Essaouira.
Tout avait pourtant bien commencé. Mohamed M’Jid, grand témoin de ce quatrième Women’s Tribune, avec son sens de la formule habituel, décrète que « la femme n’est pas un produit, c’est une productrice ». Avant de rappeler avec Aragon qu’elle est l’avenir de l’homme. Fathia Bennis, la présidente de ce forum enchaîne alors : « La femme est le présent de l’homme. »
Puis les premiers débats ont commencé et tout s’est gâté. Le thème de ce Women’s Tribune était « Constater pour agir ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le constat est alarmant. « 50 % des diplômées de l’université marocaine sont des femmes », souligne une intervenante. Mais elles sont inexistantes au top management des entreprises. Les femmes qui s’expriment à la tribune sont toutes entrées dans la vie professionnelle, il y a vingt ou trente ans. Et elles font toutes le même constat qu’on pourrait résumer ainsi : dans les entreprises, le plafond de verre est en plexiglas.
Et dans la société ? C’est un plafond qui descend. André Azoulay prend la parole et assène : « Notre temps n’est pas celui du progrès. Mais celui du doute et des vieilles peurs qui gagnent nos esprits. » Les dérives et les régressions en Tunisie, en Egypte mais aussi au Maroc alimentent les interventions.
Fériel Berraies Guigny, une journaliste et militante tunisienne éclate en sanglots quand elle s’empare du micro dans la salle et évoque les retours en arrière que vit son pays. « J’étais contre Ben Ali mais mon pays était un phare dans le monde arabe, où les femmes étaient respectées. Aujourd’hui, on viole sous couvert de religion. » Un frisson parcourt l’assistance.
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Le référentiel religieux
Les solutions ? Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat français en a une. « Le regard sur la religion est masculin et pas favorable aux femmes. Il nous faut accaparer le champ religieux. » La proposition ne fait pas l’unanimité et le politologue Roland Cayrol fait part de ses craintes. « Les femmes qui s’engagent sur ce terrain ne sont pas forcément les plus progressistes. » Et l’avocate Fadela Sebti d’ajouter : « Le seul moyen d’avancer, c’est de cesser d’avoir un référentiel religieux. » On commence à évoquer la laïcité… Mais le mot magique pour les unes et honni par les autres ne résout pas tous les problèmes. La Turque Nusin Artun rappelle que son pays est laïque depuis près de quatre-vingt-dix ans. Mais ça n’empêche pas 23% des femmes d’être toujours mariées de force. Et 35% sont victimes de violences conjugales. Que faire alors ? « Une Constitution n’est pas suffisante, explique Nusin Artun. C’est par l’éducation qu’il faut lutter contre la tradition. »
L’éducation sera au cœur des nombreuses propositions issues du Women’s Tribune. Avec comme première recommandation de changer le contenu des programmes scolaires. Mais éduquer les enfants suffira-t-il ? Le consultant Khalid Hamdani, créateur des Jardins de la cité en France, estime que l’urgence, c’est de commencer par les parents : « Il faut que les mères arrêtent de traiter leurs petits garçons comme des rois. » « Oui mais, souligne quelqu’un dans la salle, avec notre droit sur l’héritage qui laisse les femmes démunies, les mères ont intérêt à choyer leurs garçons. » On n’en sortira donc jamais ?
Nabila Mounib du PSU, seule femme à la tête d’un parti politique au Maroc, enfonce le clou. « Le fameux clash des civilisations risque de se faire, non pas entre l’Occident et nous, mais à l’intérieur même de nos sociétés qui vivent une récession politique et culturelle sans précédent sur laquelle il va falloir agir. » Dans la salle un peu plus tôt, la rniste et ancienne présidente de l’AFEM, Boutaina Laraki, a déjà sorti les armes en élargissant le combat : « On ne se bat pas pour les droits des femmes. On se bat pour un projet de société. L’égalité entre les hommes et les femmes, ce n’est qu’une partie de la diversité qui est menacée. Aujourd’hui, la guerre est déclarée ! »
La guerre contre qui ? Les islamistes, les machos, la tradition... Tout y passe. On aimerait entendre les hommes et le PJD répondre. Mais les rares hommes présents sont conciliants, à l’image de Lucien Leuwenkroon, DG de Lavazza Maroc, l’un des sponsors du Womens’ Tribune, qui souligne qu’en deux jours, personne n’a parlé d’amour... Quant au PJD, les membres du gouvernement invités n’ont pas fait le déplacement. C’est dommage. Ils ont dû entendre leurs oreilles siffler.
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S’attaquer aux mentalités
Faut-il désespérer du Royaume ? Fathïa Bennis nous confiera à l’issue du forum : « Même si ça ne suffit pas, on a eu des avancées indéniables et irréversibles sur le plan du droit. C’est au niveau de l’application que ça coince... » Toujours la même antienne, il ne suffit pas de changer les lois, il faut aussi s’attaquer aux mentalités.
La clôture des travaux sera marquée à cet égard par un échange révélateur. Après l’intervention de Mohamed M’Jid, une jeune Souiria voilée a pris la parole pour lui faire part de son admiration. Le « grand témoin » a alors rétorqué qu’il serait lui aussi très fier... qu’elle enlève son foulard. « Je n’ai pas demandé l’autorisation à mon mari », a bredouillé la jeune femme. Avant de préciser qu’elle ne voulait pas lui manquer de respect. Le tout sous les huées de l’assistance... La guerre n’est peut-être pas déclarée mais une certaine élite progressiste du pays est à cran et exprime ses craintes.
« Ce n’est pas seulement en Tunisie et en Egypte que les acquis sont menacés. C’est ici », a souligné Nabila Mounib. Applaudissements d’une salle pourtant constituée de femmes le plus souvent aux antipodes des idées que défend le leader du PSU.
Mais les débats de qualité peuvent peut-être contribuer à faire évoluer un monde figé.
Deux agents de sécurité qui écoutaient les interventions d’un air distrait ont fini par commenter d’un air admiratif : « On peut dire que ces femmes-là , elles font fonctionner leurs méninges… »
Eric Le Braz
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