Sans fauteuil roulant, pas d’école. C’est le destin des enfants handicapés. Avec « 1001 fauteuils pour 1001 sourires », les choses commencent à bouger.
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Il s’appelle Aymen et il a bientôt six ans. Il vit dans un douar du Gharb, sans dispensaire à proximité. Et aujourd’hui, au Centre des handicapés de Kénitra, il regarde avec tristesse et envie la douzaine d’enfants qui tournoient autour de lui en fauteuil roulant. Aymen, lui, vit sur le dos de sa mère, comme un fagot inerte, comme un koala qui ne pourra jamais marcher. Son destin de handicapé est marqué par une triple peine : dès sa naissance, son père qui a vu en lui une malédiction l’a abandonné. Né pauvre, il n’a pas les moyens d’avoir un fauteuil roulant. Et sans fauteuil, pas d’école... Bientôt, il sera trop lourd. Sa mère ne pourra plus le porter. On le laissera dans un coin de la maison. Il rampera peut-être. Ou comme tant d’autres enfants handicapés, il décidera de mourir en refusant de manger... A moins que, lui aussi, ne trouve un fauteuil.
Ranya, elle, a déjà six ans et un sourire à décrocher les étoiles. Elle est heureuse et le montre à tous. Son corps est meurtri mais son regard est vif. « Depuis qu’elle a un fauteuil et qu’elle va à l’école, elle n’arrête plus de rire », raconte sa maman. « Wahed, Jouj ? », demande Doha Benchekchou, la marraine, l’âme et l’organisatrice de l’opération « 1001 fauteuils roulants pour 1001 sourires ». « Talata ! » s’exclame la petite Ranya avant de commencer à réciter l’alphabet.
Puis Doha va voir un autre enfant, et rit avec lui puis un autre, comme une bonne fée au milieu de ces petits qu’elle appelle « mes anges ». Bienvenue au Centre régional pour handicapés de Kénitra, une structure pilote qui existe depuis deux ans. Ici, 17 bénévoles de l’association Al Karama des handicapés du Gharb s’occupent des 300 adhérents handicapés et des autres qui n’ont pas les moyens de payer les 100 dirhams de cotisation. Dans ce centre financé par l’AMDH, on trouve une équipe de médecins, de kinés, de pharmaciens et d’aides soignants. Des services de rééducation, un atelier d’appareillage, une salle de sports et même une piscine. Au total, le centre dispense 10 000 prestations par an. Mais il n’y a que cinq centres comparables au Maroc.
C’est ici que Doha Benchekchou est venue distribuer en juin dernier une trentaine de fauteuils à des enfants sélectionnés par Al Karama. Une douzaine sont revenus aujourd’hui et parmi eux cinq ont enfin pu accéder à l’école grâce aux fauteuils. Certains vont dans des établissements adaptés du centre-ville. D’autres, trop éloignés, parviennent tant bien que mal à se faire scolariser dans des écoles plus proches... si les directeurs font preuve de bonne volonté. Pour aller en classe, Ranya et sa mère doivent parcourir 4 à 5 kilomètres. D’autres comme Zakaria ont plus d’une heure de transport dans des bus pas vraiment adaptés. Mais les fauteuils de Doha sont légers... Tous connaissaient auparavant le même destin que le petit Aymen. Le fauteuil a changé leur vie. Avec un faux air de Sydney Pollack, le docteur Taoufik Lahlou, président de l’association, résume bien l’intérêt de l’opération : « Quand on donne un fauteuil à un adulte, on lui permet de vivre mieux. Quand on l’offre à un enfant, on lui donne un avenir. » Et le docteur de raconter l’histoire de ce jeune de 20 ans qui n’avait jamais quitté sa maison avant qu’on ne lui donne un fauteuil...
On s’en doute, l’opération 1001 fauteuils sera reconduite l’année prochaine. Les besoins sont immenses. Et accroché au dos de sa maman, Aymen attend...
Eric Le Braz |
Le sourire de Doha
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Ne vous fiez pas à son sourire de madone et à ses yeux pétillants. Ni même à son amour de la langue française et aux mots rares qu’elle aime employer pour désarçonner ses interlocuteurs qui ont oublié de réviser leur Petit Robert. Il y a un peu plus d’un an, Doha Benchekchou se passionnait pour d’autres moyens de transport que les fauteuils roulants. Quand elle ne s’entraînait pas au tir, elle pilotait son jet ou sa voiture de sport. La bonne fée des anges a toujours vécu à 300 à l’heure mais cette année, elle a décidé de consacrer son énergie à une performance bien moins futile. Elle a mis entre parenthèses son job dans l’événementiel et s’est jetée à corps perdu dans cette opération qu’elle a conçue et dirigée de A à  Z. Doha vit trop vite pour perdre du temps à déléguer. Elle a mené son opération tambour battant, d’abord en s’associant à la fondation Mohammed V pour la solidarité, au Centre national Mohammed VI des handicapés et à l’AMH, Amicale marocaine des handicapés. Le but : identifier des associations partenaires locales qui pourraient répertorier les enfants et surtout assurer un suivi à l’image d’Al Karama à Kénitra. Puis, elle a acquis ce qu’elle appelle « l’art de mendier » : « Je n’ai pas honte de me définir comme la plus grande mendiante de ce pays. J’ai frappé à toutes les portes possibles. Je ne suis d’ailleurs peut-être pas une bonne mendiante... 95% des promesses de dons n’ont pas été honorées ! » Mais elle réunira quand même un million de dirhams pour financer ses 1001 fauteuils à 1 000 dirhams l’unité. Du gardien d’immeuble aux milliardaires, en passant par des cadres, des étudiants, des artistes ou des expats, elle a réussi à « taper » dans de nombreuses poches.
Mais ce n’est bien sûr pas de cela dont elle est le plus fière : « J’ai atteint un nirvana qui surpasse en intensité et en bonheur tout ce que j’ai pu vivre dans ma vie. Mes “anges” me sont très reconnaissants. Pourtant, c’est moi qui devrais leur être reconnaissante. Mais je les laisse croire le contraire ! » Il y a bien eu 1001 sourires cette année. Et également un 1002e...
Mais ce n’est bien sûr pas de cela dont elle est le plus fière : « J’ai atteint un nirvana qui surpasse en intensité et en bonheur tout ce que j’ai pu vivre dans ma vie. Mes “anges” me sont très reconnaissants. Pourtant, c’est moi qui devrais leur être reconnaissante. Mais je les laisse croire le contraire ! » Il y a bien eu 1001 sourires cette année. Et également un 1002e... |
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