Témoin de la belle époque casablancaise, l'édifice bientôt centenaire ressemble aujourd’hui à une maison en ruine d’Alep. En attendant la fin des travaux de restauration, les commerçants souffrent d’une chute considérable de leurs revenus.
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En face de l’emblématique hôtel Lincoln, complètement délabré, se tient tant bien que mal le Marché central de Casablanca. Un énième édifice qui témoigne de l’indifférence dont souffrent plusieurs joyaux architecturaux de la ville blanche. Autrefois cœur battant de l’économie locale, prisé par les circuits touristiques, le marché est aujourd’hui une bâtisse bien triste et quasi déserte. En cause, le manque d’entretien qui s’est perpétué pendant des années, sans parler des travaux de restauration et de renforcement des fondations qui tardent à aboutir. Durant le mois de Ramadan, les marchands n’ont eu de cesse de protester pour dénoncer le retard qu’accusent les marteaux piqueurs. « Les commerçants veulent réintégrer leur boutique. Si les travaux tardent encore, les revenus des marchands risquent d’être dangereusement impactés », avait prévenu Abdelilah Akkouri, président de l’association des commerçants du poisson et des fruits de mer du Marché central, il y a quelques semaines déjà . Et c’est, une fois de plus, le Conseil de la ville qui est pointé du doigt.
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Le tram m’a sauvé
Bon nombre ne savent pas que ce marché fait partie des constructions menaçant ruine à Casablanca. Une expertise récente du Laboratoire public d’études et d’essais a révélé le degré du danger d’effondrement auquel est exposé le bâtiment. Bientôt centenaire (il fêtera un siècle d’existence en 2019), le Marché central est aujourd’hui très fragile. En effet, le sous-sol est totalement insalubre et les infiltrations ont endommagé de façon irréversible les murs porteurs. Et le tramway, qui va être mis en fonction en décembre, risque indubitablement de précipiter l’effondrement de l’édifice.
Quid des poissonniers qui occupaient jusqu’alors le carré central devenu aujourd’hui un vaste trou béant ? Ils ont été déplacés dans l’allée circulaire, protégés sommairement de la chaleur par des bâches. La glace peine à conserver sa fraîcheur et les poissonniers transpirent. Ils souhaitent réintégrer au plus tôt leur antre carrelée qui les isolait efficacement du soleil. Les commerçants du marché s’inquiètent de voir leur situation se précariser de jour en jour. Mais le pire reste la concurrence déloyale des marchands ambulants qui s’installent alentour. Une étude récente, menée par la délégation régionale du HCP, confirme leurs inquiétudes. Elle révèle que le nombre de marchands ambulants avoisine les 129 000, soit 10% du total de la population active, la majorité se trouvant au niveau de l’arrondissement de Mers Sultan – non loin du marché. Alors que toutes les tentatives visant à rassembler ces vendeurs informels dans des marchés ont échoué, les commerçants officiels du Marché central encaissent. Tentant de faire comme si de rien n’était, Boujemâa s'évertue à étaler soigneusement ses fruits et légumes, en dépit des bruit de travaux et de l’odeur nauséabonde des égouts éventrés. Mais son étalage risque de n’attirer personne en cette journée, car les passants, rebutés par la poussière et le vacarme, ne viennent plus faire leurs emplettes. « L’activité a considérablement baissé ces dernières années. Et les travaux aggravent la situation », confie-t-il avec amertume. Même les visites des touristes ne signifient plus rien pour les occupants du marché. « Nous ne gagnons rien avec eux. Ils n’achètent pas et se contentent de prendre des photos », déplore-t-il. Lui et ses confrères n’ont plus qu’à prendre leur mal en patience. Sans espérer une quelconque indemnisation du Conseil de la ville (lire aussi page 36) pour un préjudice subi pourtant substantiel.
Ali Hassan Eddehbi |