Porsche, Mercedes, BMW, Audi… Les berlines haut de gamme sont également la coqueluche des trafiquants. Enquête.
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Il y a plus d’une semaine, les douaniers de Tanger ont eu du flair. Des étrangers qui entrent au Maroc à bord de berlines de luxe, ils en voient beaucoup en cette période estivale. Mais la nervosité du jeune homme qui conduisait un bolide immatriculé en Italie a éveillé les soupçons des agents de service par cette chaude nuit d’été. Un simple coup de téléphone à Rabat a permis de vérifier que les papiers de la berline ainsi que la plaque minéralogique étaient falsifiés. L’antenne d’Interpol au Maroc a consulté la base de données de l’organisme international de police qui comptabilise pas moins de sept millions de véhicules volés dans 129 pays. Dans la foulée, les enquêteurs marocains découvrent que le réseau avait également introduit six véhicules de luxe dont une Porsche, une Mercedes dernière génération, une BMW et plusieurs 4x4. Des individus appartenant à un réseau international italien de trafic de voitures haut de gamme sont rapidement arrêtés par la police. Des complicités locales leur permettaient de falsifier les documents (cartes grises, factures, numéros de châssis...).
Les berlines sont, pour la plupart, maquillées, voire repeintes avant que les numéros de série ne soient falsifiés. Certains réseaux vont jusqu’à user de la technique des « doublettes », qui consiste à faire circuler deux véhicules de même marque avec la même immatriculation. L’enquête ayant trait à ce trafic de voitures de luxe, entre le Maroc et l’Italie, suit son cours. Il s’agit là d’une peccadille au vu de l’ampleur d’un trafic piloté par la même mafia qui contrôle le marché de la drogue entre le Royaume et l’Europe. L’été dernier, Salvatore d’Avino, un capo du « clan Giuliano » avait été arrêté par le plus pur des hasards à Marbella, en Espagne, alors qu’il sortait d’une boîte de nuit chic… Recherché depuis dix ans, ce caïd de la mafia napolitaine coulait des jours heureux avec sa compagne marocaine dans le nord du Maroc. L’homme, qui avait déjà été condamné pour trafic de drogue, s’adonnait à toutes sortes d’activités illégales dont la mise en place d’un important réseau de vol de voitures de luxe entre l’Europe et le Maghreb. En réalité, le trafic de voitures de luxe est étroitement lié à celui de la drogue. « Les barons ont trouvé là un système qui leur permet de convoyer leur drogue en toute sécurité. Ces véhicules sont réaménagés avec des caches, le fait que ce soit des berlines de luxe permet souvent de passer outre les contrôles de routine. Une fois la marchandise arrivée à bon port, les véhicules sont cédés, en guise de paiement, à la personne qui a pris le risque de transporter la drogue », explique un gradé de la douane. Interpol, qui a recensé en moyenne plus de 3,8 millions de voitures volées chaque année dans le monde (soit une toutes les dix secondes), met d’ailleurs en garde contre les connexions étroites entre ce trafic et celui de la drogue. Un trafic qui génère des profits estimés à plus de 450 millions de dollars américains par an. Une bonne partie de ces voitures volées est écoulée en Afrique en passant par le Maghreb. Un enquêteur explique la difficulté de mettre fin au trafic en relatant le modus operandi privilégié par la mafia : « La prospérité de ce trafic de véhicules de luxe entre l’Europe et le Maroc est due au fait que les passeurs sont des monsieur Tout-le-monde. Des personnes qui sont embauchées au hasard pour conduire des voitures au Maroc selon une technique toujours identique : ce sont en général des petits voyous ou de simples personnes en difficulté financière, abordés par des individus qui leur proposent plus de 1 000 euros pour convoyer un véhicule de l’Italie au Maroc en passant par l’Espagne. Ils savent souvent qu’il s’agit d’une voiture volée mais ils tentent le coup. » Un procédé efficace puisque le convoyeur, un simple lampiste qui ne connaît en général pas les commanditaires de l’opération, ne permet pas de remonter la filière en cas d’arrestation.
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Une permanence le week-end pour la légalisation
Où vont les véhicules volés ? Il y a quelques années, la région de Khouribga et Fkih Ben Salah constituaient la plaque tournante de ce trafic. Cette région, dont est originaire une grande partie de la population immigrée en Italie, connaît d’ailleurs toujours une activité très dense en matière de vente de voitures de luxe en provenance de l’étranger. D’ailleurs, le business est si florissant que la plupart des arrondissements prévoient une permanence le week-end pour la légalisation des contrats de vente et autres documents administratifs liés à l’acquisition de voitures (volées ou non).
On raconte même que la Porsche de l’ancienne vedette de football Beckenbauer, volée en Allemagne, avait été retrouvée à Fkih Ben Salah après plusieurs mois de recherche. Mais suite aux nombreuses descentes de police, les trafiquants sont devenus plus prudents, et préfèrent travailler sur commande, c’est-à -dire en allant chercher la berline qu’ils remettront en mains propres à un client peu regardant. Au début des années 90, une vaste campagne lancée par les services de sécurité contre le trafic de voitures volées avait mis à jour un business qui profitait en grande partie à des personnalités marocaines influentes. Impliqué dans ce trafic, le propriétaire d’un garage spécialisé dans les voitures de luxe, qui a toujours pignon sur rue à Casablanca, a échappé à la prison grâce à ses connexions haut placées. Les enquêteurs s’étaient heurtés à un tissu de complicités dense et puissant et s’étaient rendu compte que ce trafic drainait des enjeux si énormes que tous les services de police du monde avaient du mal à le contenir.
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En pièces détachées
Aujourd’hui, il y aurait des ateliers clandestins dans plusieurs villes du Royaume où les voitures sont démontées et revendues en pièces détachées. A la ferraille de Sbata, à Casablanca, on peut obtenir tout ce que l’on veut sans trop poser de questions. « Il est difficile de savoir qui achète quoi et qui vend quoi. Aller savoir d’où viennent vraiment les véhicules et les pièces amoncelées ici, même si en principe nous sommes tenus de vérifier l’origine de ce que l’on achète », explique un ferrailleur de cette fourmilière, véritable caverne d’Ali Baba où se rendent ceux qui cherchent la pièce introuvable pour leur berline de luxe. Notons au passage que les Casablancais eux-mêmes sont victimes de vols de voiture. Selon des sources policières, une voiture haut de gamme disparaît chaque jour dans la métropole.
Mais, toujours selon les connaisseurs, l’essentiel du trafic est orienté vers l’Algérie et la Mauritanie où des intermédiaires se chargent de faire passer les véhicules au Sénégal et dans d’autres pays africains peu regardants sur l’origine des voitures. En Algérie, les chiffres officiels font état d’une centaine de véhicules de luxe volés en Europe, mais également au Maroc, qui se retrouvent chez nos voisins introduits par des frontières en principe fermées, ou encore convoyés par les ports. En raison d’un marché verrouillé, les Algériens paient le prix fort pour acquérir ces véhicules qui circulent avec de faux documents administratifs. Régulièrement, Interpol informe la police algérienne de la présence de véhicules volés sur son territoire, essentiellement des voitures de luxe, des 4x4, et autres pick-up.
Pour la Mauritanie, c’est encore moins compliqué puisque ces réseaux mafieux profitent de complicités au niveau du poste frontière situé dans le Sahara, entre le Royaume et son voisin du Sud. Ces véhicules, qui quittent frauduleusement l’Europe via le Maghreb, sont remis à des complices installés en Mauritanie. C’est à partir de là que le marché africain est ravitaillé en transitant par Dakar qui constitue le point de passage vers des pays comme la Guinée-Bissau et la Gambie. Selon des sources mauritaniennes, une voiture de luxe est cédée cinq fois moins cher que son prix réel sur ce marché florissant.
La traque des voitures volées s’est intensifiée depuis qu’Interpol, grâce à un système informatique très performant, a mis à la disposition des services de 160 pays des informations précises sur les véhicules fichés. Ce qui réduit considérablement la marge de manœuvre des réseaux mafieux mais reste insuffisant pour porter un coup fatal au trafic.
Abdellatif El Azizi |