Il aura fallu quâune mosquĂ©e centenaire sâĂ©croule sur la tĂȘte de dizaines de Marocains pour que des mesures soient prises. Que sâest-il passĂ© ? Qui est responsable ? Et surtout, peut- on continuer Ă prier sereinement dans nos mosquĂ©es ?
Vendredi 19 fĂ©vrier, vers midi. Les ïŹdĂšles afïŹuent Ă la mosquĂ©e Lalla Khenata du quartier Bab Baradiyine, situĂ©e dans la vieille mĂ©dina de MeknĂšs. Ils ont pris part collectivement Ă une priĂšre Ă la mĂ©moire dâun mort du quartier. « Ce sera la derniĂšre priĂšre que nous effectuerons dans la mosquĂ©e qui va ĂȘtre rĂ©novĂ©e », aurait dĂ©clarĂ© lâimam Abdelali aux croyants qui s'alignent en rangs serrĂ©s. Il ne croyait pas si bien dire. A 12 h 45, alors que lâimam se prĂ©pare Ă lire son prĂȘche, un bruit sourd envahit la salle. Quelques secondes plus tard, le plafond de la salle de priĂšre des hommes sâeffondre sous le poids du minaret. Les personnes aux premiers rangs sont immĂ©diatement ensevelies. Les autres sont extirpĂ©es par les habitants du quartier. « Au dĂ©but, peu dâambulances sont arrivĂ©es et ce sont les citoyens qui ont secouru le maximum de personnes pendant une heure et demi », raconte Abdellah Bouanou, membre du Conseil de la ville et dĂ©putĂ© PJD, qui a participĂ© Ă lâopĂ©ration de secours. Bilan : 75 victimes dont 41 morts (y compris lâimam).
lendemain, le quartier enterre ses disparus dans la colĂšre et la douleur. Dimanche 21 fĂ©vrier. « Allah Akbar », « Que Dieu venge nos morts ! », sâĂ©crient les familles des victimes, non loin de la wilaya de MeknĂšs. La population rĂ©clame des tĂȘtes. Peu rassurĂ©s par le discours ofïŹciel, les habitants doutent du sĂ©rieux de lâenquĂȘte judiciaire ouverte Ă la demande du ministĂšre de la Justice. « Les manifestants sont habituĂ©s aux promesses en lâair. Ils craignent que les responsables du drame sâen sortent impunĂ©ment », explique Abdelaziz Ejdid, prĂ©sident de la section locale de lâAMDH (Association marocaine des droits humains). Devant lâampleur des protestations, le wali, Mohamed Fawzi, a mĂȘme ordonnĂ© lâouverture dâun bureau spĂ©cial pour enregistrer les plaintes des habitants. La mosquĂ©e est donc tombĂ©e⊠mais contrairement Ă lâadage, aucune responsabilitĂ© nâa (encore) Ă©tĂ© dĂ©ïŹnie clairement.
Les premiĂšres conclusions des autoritĂ©s, prises de court par le dĂ©sastre, ont Ă©tĂ© pour le moins hĂątives. Quelques heures aprĂšs le drame, Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, expliquait aux mĂ©dias que « cette tragĂ©die que rien ne laissait prĂ©voir, a Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©e par les intempĂ©ries particuliĂšrement sĂ©vĂšres que connaĂźt le Royaume ». Lâexplication et le ton dĂ©ïŹnitif du ministre ne convainquent pas vraiment. La mosquĂ©e trois fois centenaire de Bab Baradiyine Ă©tait dans un piteux Ă©tat et menaçait de sâeffondrer, selon plusieurs tĂ©moignages qui se recoupent. « Tout indiquait quâune catastrophe allait avoir lieu dans cette mosquĂ©e et le pire aurait pu ĂȘtre Ă©vitĂ© », renchĂ©rit Abdellah Bouanou.
Cherchez le coupable
Si la piste des intempĂ©ries nâexplique pas tout, sur quoi se base la vox populi pour remettre en question la version ofïŹcielle ? RĂ©ponse : un certain nombre dâindices avant-coureurs auraient dĂ» mettre la puce Ă lâoreille des autoritĂ©s. Deux jours avant lâincident, des dĂ©bris du minaret seraient tombĂ©s sur le sol. Lâimam de la mosquĂ©e aurait mĂȘme signalĂ© cet incident aux autoritĂ©s qui nây auraient pas donnĂ© suite. De leur cĂŽtĂ©, les habitants auraient alertĂ© Ă plusieurs reprises les autoritĂ©s locales et les Habous sur lâĂ©tat dĂ©labrĂ© de la bĂątisse. Et notamment son minaret qui commençait Ă sâincliner dangereusement. Pis, en juillet 2009, lâincendie dâun atelier de menuiserie mitoyen de la mosquĂ©e aurait fragilisĂ© davantage lâĂ©diïŹce. En 2008, le roi y avait effectuĂ© une priĂšre du vendredi. Ă lâĂ©poque, 70 000 dirhams avaient Ă©tĂ© dĂ©boursĂ©s pour⊠refaire la peinture de la façade ! Doit-on pour autant conclure Ă la nĂ©gligence criminelle ? Ă ce stade, seule lâenquĂȘte de la police judicaire apportera des rĂ©ponses. Du cĂŽtĂ© du ministĂšre des Habous et des Affaires islamiques, on assure que rien ne prĂ©disait une telle catastrophe. InvitĂ© de lâĂ©mission Hiwar, Ahmed TaouïŹ k, le ministre des Habous et des Affaires islamiques Ă©carte dâemblĂ©e ces accusations, dĂ©clarant : « Aucune plainte, de quelque nature que se soit, nâa Ă©tĂ© enregistrĂ©e par le ministĂšre. »
Plus Ă©tonnant encore, la mosquĂ©e Lalla Khenata ne faisait mĂȘme pas partie de la liste des vieilles mosquĂ©es Ă restaurer, Ă©tablie annuellement par le ministĂšre. Le dĂ©lĂ©guĂ© rĂ©gional des Habous et des Affaires islamiques (qui allait effectuer sa priĂšre dans la mosquĂ©e le jour du drame, selon Ahmed TaouïŹ k, ndlr) nâa constatĂ© des ïŹ ssures sur le bĂątiment quâil y a trois mois. AussitĂŽt, une enquĂȘte a Ă©tĂ© ouverte. « Une architecte a Ă©tĂ© dĂ©pĂȘchĂ©e sur les lieux et a rĂ©alisĂ© un rapport Ă la suite duquel le ministĂšre a dĂ©cidĂ© de procĂ©der Ă une expertise complĂšte », a poursuivi Ahmed TaouïŹ k. Le ministĂšre des Habous aurait donc tout simplement manquĂ© de temps et fait les frais de la malchance⊠Ce dĂ©but de rĂ©ponse est loin de sufïŹ re. AudelĂ mĂȘme des Ă©vĂ©nements de MeknĂšs, ce drame interpelle surtout sur lâĂ©tat gĂ©nĂ©ral des mosquĂ©es du Royaume.
Le précédent Aïn El Khail
Dâailleurs, lâeffondrement de la mosquĂ©e de Bab Baradiyine nâest pas une premiĂšre du genre. Un drame similaire, sâĂ©tait produit Ă FĂšs. Le 4 novembre 2004, lâĂ©croulement dâune maison qui menaçait ruine dans le vieux quartier Ăatarine de la mĂ©dina, a eu des consĂ©quences dĂ©sastreuses. Lâeffondrement a entraĂźnĂ© la chute dâun mur de lâaile sud de la mosquĂ©e AĂŻn El Khail. RĂ©sultat : 11 dĂ©cĂšs et 7 blessĂ©s. La bĂątisse est pourtant classĂ©e monument historique ; au 12 siĂšcle, Ibn Arabi venait sây recueillir.
Actuellement fermĂ©e au public, la mosquĂ©e attend toujours dâĂȘtre rĂ©habilitĂ©e. Dans lâintervalle, le lieu de culte devient en lui-mĂȘme une menace pour les maisons avoisinantes. « Le minaret, construit sans fondations, risque de tomber Ă nâimporte quel moment. Câest une vĂ©ritable bombe Ă retardement », afïŹrme Adil Belmlih, un maroquinier dont lâĂ©choppe est adjacente Ă la mosquĂ©e. «Entre-temps, jâai beau colmater les brĂšches, lâeau nâarrĂȘte pas de sâinïŹltrer dans ma boutique, fragilisant mes propres murs qui sâeffritent Ă vue dâĆil. Les autoritĂ©s auraient au moins pu goudronner le plafond de la mosquĂ©e en attendant de rĂ©parer », nous explique-t-il.
ThĂ©oriquement, et depuis 2006, la direction des mosquĂ©es a entamĂ© un vaste plan de restructuration des lieux de culte qui concernait 641 mosquĂ©es dĂ©labrĂ©es. De ce total, seuls 148 lieux de culte ont effectivement Ă©tĂ© rĂ©novĂ©s. La raison avancĂ©e pour expliquer ces retards est (encore une fois) le nombre considĂ©rable de chantiers et le caractĂšre rĂ©cent de lâexpĂ©rience (la direction des mosquĂ©es nâayant Ă©tĂ© crĂ©Ă©e quâen 2004). MalgrĂ© lâhĂ©catombe, les Ă©vĂ©nements de MeknĂšs auront au moins eu un effet positif : lâaccĂ©lĂ©ration de la cadence pour Ă©viter que le pire ne se (re)produise. Le roi a lui-mĂȘme ordonnĂ© une « expertise urgente » de toute les anciennes mosquĂ©es Ă travers le pays. Une commission composĂ©e dâarchitectes, dâexperts et de cadres ministĂ©riels sillonne actuellement le Royaume Ă la recherche de bĂątiments qui pourraient poser problĂšme.
Des premiĂšres dĂ©cisions ont Ă©tĂ© prises : deux mosquĂ©es situĂ©es dans les quartiers de Hay Annajarine et de Zaitouna Ă MeknĂšs sont dĂ©sormais fermĂ©es au public depuis la semaine derniĂšre. Le plan de restauration des mosquĂ©es a, lui, bĂ©nĂ©ïŹ ciĂ© dâun sĂ©rieux coup dâaccĂ©lĂ©rateur. Le ministre des Habous et des Affaires islamiques a annoncĂ© que le budget allouĂ© Ă cette mission a Ă©tĂ© doublĂ© cette annĂ©e. Il sâĂ©lĂšve Ă 60 millions de dirhams et devrait proïŹ ter dâurgence Ă 13 mosquĂ©es dĂ©labrĂ©es.
Pendant ce temps, Ă El-HamraâŠ
LâĂtat a donc pris Ă bras-le-corps le problĂšme, mais il doit faire face au chantier pharaonique quâest lâexpertise. Celle-ci porte sur 43 000 Ă 50 000 bĂątisses (entre mosquĂ©es historiques, nouvelles bĂątisses, salles de priĂšres, etc.)⊠Autant de mosquĂ©es Ă contrĂŽler. « Vous nâavez pas idĂ©e de lâĂ©tat dans lequel se trouvent certaines de nos mosquĂ©es », se dĂ©sole Abdelbari Zemzmi, dĂ©putĂ© PRV (Parti du renouveau et de la vertu) et imam de la mosquĂ©e Al-Hamra Ă Casablanca. « La nĂ©gligence est manifeste : nous nâavons mĂȘme pas assez dâargent pour changer les ampoules et retaper les fuites dâeau du toit », poursuit lâimam.
Comment peut-on expliquer autant de laisser-aller de la part dâun des ministĂšres les mieux dotĂ©s ? La question se pose avec acuitĂ©, dâautant plus que les bienfaiteurs â premiers investisseurs dans ce secteur - seraient heureux dâentreprendre des travaux. « Nous avons reçu des propositions fermes de la part dâun Marocain rĂ©sidant aux Ătats-Unis et qui nous a promis des aides consĂ©quentes de la part de plusieurs mĂ©cĂšnes amĂ©ricains pour la restauration de la mosquĂ©e AĂŻn El Khail. Cela fait trois ans que nous essayons dâentrer en contact avec la dĂ©lĂ©gation rĂ©gionale des Habous. Sans succĂšs », tĂ©moigne Kenza Hammouni, cadre dans un cabinet dâarchitecture fassi.
En fait, depuis la modiïŹcation de la loi relative aux lieux de culte musulman en 2007, il est beaucoup plus difïŹcile pour les mĂ©cĂšnes dâinvestir dans les mosquĂ©es. Depuis cette date, les bienfaiteurs doivent se constituer en association. La gestion de la mosquĂ©e relĂšve du ministĂšre qui ne peut dĂ©lĂ©guer cette responsabilitĂ© quâĂ la signature dâune convention avec lâassociation en question. OĂč se situe donc le problĂšme ? « Cette loi part certes dâune bonne intention, celle de mettre ïŹ n Ă lâanarchie qui prĂ©valait auparavant. En rĂ©alitĂ©, elle se rĂ©vĂšle contraignante. Lâexemple le plus frappant est celui du gouverneur qui tergiverse longtemps avant dâaccorder un per mis de construire ou de rĂ©habilitation », explique Zemzmi.
Pas de dĂ©missionsâŠ
Autre effet retors de la lĂ©gislation : « Cette loi a surtout Ă©tĂ© pensĂ©e au lendemain des attentats du 16 mai, quand lâĂtat a dĂ©cidĂ© de contrĂŽler de prĂšs le fait religieux et de barrer la route aux ïŹ nancements occultes et Ă la mainmise des islamistes takïŹ ristes sur les lieux de culte », analyse Mohamed Darif, politologue spĂ©cialisĂ© dans le fait religieux. De plus, poursuit-il, « les autoritĂ©s ont davantage mis lâaccent sur les ressources humaines en formant les imams. Au dĂ©triment de la maintenance des lieux de culte », assĂšne notre observateur. En dĂ©ïŹnitif, et mĂȘme si le ministĂšre des Habous et des Affaires islamiques nâest pas le seul concernĂ© par la catastrophe (il y a le ministĂšre de lâIntĂ©rieur et les autoritĂ©s locales, lâurbanisme, etc.), câest ce dĂ©partement qui se retrouve en mauvaise posture.
Des tĂȘtes, vont-elles tomber ? Pour lâheure, nous assure une source en off, il nâest pas question dâune dĂ©cision dans ce sens. « Les cadres du ministĂšre nâont rien fait de mal pour subir une quelconque punition (sic) », poursuit notre source. Câest donc Ă la Justice de prendre ses responsabilitĂ©s. Lâeffondrement dâun mur de lâaile sud de la mosquĂ©e AĂŻn El Khail a causĂ© la mort de 11 personnes. Actuellement fermĂ©e au public, la mosquĂ©e attend toujours dâĂȘtre rĂ©habilitĂ©e et menace les maisons avoisinantes.
Zakaria Choukrallah |
Trois questions Ă ...
Ahmed TaouïŹk, ministre des Habous et des Affaires islamiques
« Nous espérons que le ciel sera clément les deux prochains mois »
Sommes-nous Ă lâabri dâun remake de ce qui sâest passĂ© Ă MeknĂšs ?
AHMED TAOUFIK : Dans lâabsolu, je dirais que nous ne sommes jamais Ă lâabri de quoi que ce soit. En revanche, il est sĂ»r quâil y a eu une prise de conscience des risques aprĂšs la catastrophe de MeknĂšs. Nous serons plus vigilants.
Le ministĂšre est pointĂ© du doigt Ă plus dâun titre dans ce drame. Que rĂ©pondez-vous ?
Avant de condamner le ministĂšre, il faut savoir quâaucune autre instance Ă©tatique ou privĂ©e nâa autant de bĂątisses Ă gĂ©rer (50 000, ndlr). De plus, plusieurs blocages compliquent notre mission. Je vous donne un exemple : des milliers dâhabitations des Habous doivent ĂȘtre Ă©vacuĂ©es, nous avons envoyĂ© lâordre aux concernĂ©s qui refusent toujours de quitter les lieux.
Quand la commission dâenquĂȘte sur les mosquĂ©es va-t-elle rendre ses conclusions ?
La commission est Ă pied dâĆuvre et dâici une dizaine de jours nous aurons plus de visibilitĂ© sur les mosquĂ©es qui posent problĂšme. Nous aurons ensuite beaucoup de travail Ă faire : Ă©tudier et classer les ïŹches prĂ©parĂ©es par la commission, diagnostiquer les problĂšmes et y mettre un terme. La marge de lâinvisible sera rĂ©duite. Nous espĂ©rons seulement que le ciel sera clĂ©ment les deux prochains mois et que les intempĂ©ries ne poseront pas problĂšme.
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BILLET : « Un ministre, ça démissionne⊠»
C'est une foule dĂ©chaĂźnĂ©e, composĂ©e de personnes de tous Ăąges, qui est sortie dans les rues de MeknĂšs pour crier sa colĂšre contre le gouvernement et les Ă©lus dimanche dernier. Il est assez rare que des citoyens dĂ©cident spontanĂ©ment de descendre dans la rue pour protester contre une catastrophe de lâampleur de celle de MeknĂšs. Ici, les parents des victimes, les voisins, les gens se sont rĂ©voltĂ©s pour demander quâon dĂ©limite clairement les responsabilitĂ©s dans le drame de la mosquĂ©e de la vieille mĂ©dina.
Au lendemain du sinistre, on sâest ingĂ©niĂ© Ă maintenir la confusion entre risque et catastrophe, entre les nĂ©gligences du dĂ©partement de tutelle, les manquements des Ă©lus et les caprices de la mĂ©tĂ©o, franchissant le seuil critique entre la tolĂ©rance et lâinacceptable. La garantie de services publics de qualitĂ© est une question politique importante. Des mosquĂ©es qui ne sâĂ©croulent pas aux premiĂšres gouttes de pluie, des Ă©coles valables, des hĂŽpitaux opĂ©rationnels, des eaux salubres, des transports ïŹ ables, tout cela relĂšve de la responsabilitĂ© des Ă©lus et de celle des politiques de tous bords.
Gouverner les services d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne se limite pas uniquement au champ dâaction de bureaucrates engoncĂ©s dans leurs costumes signĂ©s et rĂ©fugiĂ©s dans des bureaux climatisĂ©s Ă lâabri de la vindicte des foules. Câest aussi la responsabilitĂ© des hommes politiques qui ont acceptĂ© de siĂ©ger au gouvernement. Ahmed TaouïŹ q dĂ©missionnera-t-il ? Il ne faut pas rĂȘver. Nous ne sommes pas au Burkina Faso oĂč le ministre du Travail et de la SĂ©curitĂ© sociale, vient de rendre le tablier « pour convenance morale » Ă la suite dâune histoire de mĆurs.
Abdellatif El Azizi |
SOS Bab Baradiyine
Plus dâune semaine aprĂšs le drame, le quartier ne sâest toujours pas remis du choc. Un climat de mĂ©ïŹance s'est installĂ©.
Kamal Mourahi, forgeron de pĂšre en ïŹls, a passĂ© le plus clair de ses 44 ans dans la mĂ©dina. Assis cet aprĂšs-midi devant son modeste magasin, presque dĂ©sert, juste en face de l'emplacement de la mosquĂ©e Lalla Khnata, il nâarrĂȘte pas de se remĂ©morer le drame du vendredi 19 fĂ©vrier dernier dont il a Ă©tĂ© tĂ©moin. « Cela a commencĂ© par un craquement Ă peine audible. Lâinstant dâaprĂšs, le minaret sâest Ă©croulĂ©. Un nuage Ă©pais de poussiĂšre sâest installĂ©. Je ne pouvais rien voir⊠seulement entendre, le bruit des murs et des toits qui Ă©clataient et les cris des victimes. ».
Sâil afïŹrme ĂȘtre triste pour les 41 morts, câest lâimage, la toute derniĂšre, de Mohamed Benamara, cet apprenti-menuisier de 14 ans dans une Ă©choppe voisine, qui lâaura le plus terriblement marquĂ©. Le jeune Mohamed a littĂ©ralement Ă©tĂ© englouti dans les dĂ©bris. Abattu, Mourahi est Ă©galement inquiet. Plus aucun client ne sollicite ses services. Et il a perdu pratiquement tout son matĂ©riel suite Ă lâeffondrement. « Je nâai dâautre choix que dâattendre que les travaux de dĂ©molition et de restauration prennent ïŹ n pour enïŹn reprendre une activitĂ© normale », dit-il, ne perdant pas des yeux lâentrĂ©e de Bab Baradiyine, situĂ©e Ă quelques mĂštres dâune mosquĂ©e -oĂč sâactivent de nombreux maçons - , surveillĂ©e et bloquĂ©e par une armĂ©e de policiers.
Population démunie
Avec des membres des forces auxiliaires, ils ïŹltrent les passants. OfïŹciellement, on voudrait que lâenjeu soit la sĂ©curitĂ© des habitants et des visiteurs du quartier. Mais il paraĂźt clair que les autoritĂ©s craignent des rĂ©actions collectives dâune population qui ne dĂ©colĂšre pas. Pour la mosquĂ©e et ses victimes mais aussi contre lâĂ©tat de dĂ©labrement dont souffrent un grand nombre de maisons et bĂątiments. Elles sont 200 Ă menacer ruine.
Fissures, toits littĂ©ralement Ă©ventrĂ©s, des murs qui sâeffritent⊠une visite renseigne Ă plus dâun titre sur les dangers quâencoure une population dĂ©munie au quotidien. « Avec mes trois enfants, jâai prĂ©fĂ©rĂ© partager les deux piĂšces dâune voisine que de rester otage dâun toit qui menaçait de nous tomber dessus », nous informe Touria. Que font les autoritĂ©s ? « Nous ne cessons de leur Ă©crire, mais nous sommes toujours sans rĂ©ponse », nous dit cet habitant qui improvise, dans le dĂ©dale des ruelles, une collecte de signatures pour une lettre de protestation. La Ă©niĂšme du genre.
Tariq Qattab, Ă MeknĂšs |
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