Formation des enseignants, ponctualité des affectations, décentralisation de la gestion… Le département de l’Education nationale prépare sa rentrée depuis huit mois. Mais les changements réalisés restent bien en deçà des exigences d’un système éducatif en chantier permanent.
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A la veille de la rentrée scolaire, Mohamed El Ouafa, ministre de l’Education nationale est… en vacances. Repos sûrement mérité. D’ailleurs, inutile de déranger monsieur le ministre pour s’enquérir des conditions de la première rentrée scolaire du gouvernement Benkirane, et des changements envisagés pour marquer une première rupture avec l’échec patent d’un système, pointé par le roi en personne.
Inutile donc, tout simplement parce que, joint par actuel, monsieur le ministre annonce qu’il ne s’exprimera sur la rentrée 2012-2013 qu’au lendemain de la première journée de la nouvelle année scolaire. Quand tous les ministres de l’Education se font un devoir de communiquer au préalable l’étendue du travail accompli pour que les enfants soient accueillis dans les meilleures conditions, Mohamed El Ouafa s’étonne que l’on puisse s’intéresser à un sujet qui préoccupe tous les parents d’élèves à cette période. Sentiment partagé par ses services qui ne souhaitent pas davantage répondre à nos questions.
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A quelques jours de la rentrée, le sujet préoccupe pourtant parents et enseignants. Le récent discours du roi est venu rappeler l’état de quasi-faillite dans lequel évolue notre système d’enseignement. Et l’urgence du besoin de réformes. Les parents d’élèves y sont plus que jamais attentifs.
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Il n’est pas certain que cette rentrée, la toute première de Mohamed El Ouafa, apporte quelque changement que ce soit de nature à engager l’Education nationale sur la voie du redressement. Elle devra pourtant répondre à une double exigence, quantitative et qualitative, être en mesure de gérer les difficultés rencontrées les années précédentes et enfin survivre aux tensions liées à l’échec cuisant du Plan d’urgence.
Elle devra surtout s’inscrire en continuité avec le dernier discours royal prononcé à l’occasion du 59e anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple. Celui-ci a placé la réforme de l’Education en tête des priorités nationales tout en reconnaissant, et c’est une première, le problème de la pédagogie qui se pose avec acuité.
« Nous devons revoir notre approche et les méthodes en vigueur à l’école pour passer d’une logique d’enseignement centrée sur l’enseignant et sa performance, et limitée à la transmission des connaissances aux apprenants, à une autre logique fondée sur la réactivité des apprenants, et axée sur le renforcement de leurs compétences propres et la possibilité qui leur est donnée de déployer leur créativité et leur inventivité », a précisé le souverain.
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Quelles nouveautés donc pour les sept millions d’élèves qui rejoindront la semaine prochaine les bancs de l’école ? Il faudra patienter pour le savoir puisque Mohamed El Ouafa estime pour l’heure que « les parents d’élèves s’intéressent plus au prix des fournitures scolaires qu’à une quelconque politique de changement ». Celles et ceux qui aspiraient à un véritable changement de fond devront sérieusement revoir leurs attentes à la baisse. Une note du ministère informe toutefois d'un nouvel emploi du temps en primaire, avec la suppression du mercredi après-midi et du samedi matin.
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La rentrée des « mesurettes »
Si « la pédagogie d’intégration » a suscité nombre de débats, El Ouafa préfère aujourd’hui tout simplement s’en passer. Selon le ministre, celle-ci, supervisée principalement par une équipe étrangère, coûterait beaucoup trop cher pour des résultats non garantis. La fixation des jours officiels de rentrée des classes a, quant à elle, été bouclée avant la fin du mois de juillet et annoncée officiellement il y a quelques jours. En ce qui concerne la réédition des manuels scolaires, elle n’a pas eu lieu cette année, à la grande satisfaction de ses détracteurs qui la jugent souvent inutile.
Par ailleurs, en vue d’encourager et d’augmenter le taux de scolarisation – l’une des plus grandes ambitions d’El Ouafa –, et d’apporter un coup de pouce aux familles à revenus modestes, le ministère a pris la décision d’étendre les délais de règlement des frais d’inscription jusqu’à fin novembre. « Si beaucoup d’élèves se voient obligés par leurs enseignants de payer des cours supplémentaires, au risque d’avoir une note éliminatoire, c’est que notre système renvoie à une gouvernance défaillante ! », s’indigne Azeddine Akesbi, enseignant chercheur.
C’est dans cette optique qu’un numéro vert sera prochainement mis à la disposition des élèves et des professeurs. Objectif : signaler tout dysfonctionnement concernant un établissement, allant d’une simple coupure d’eau à l’absentéisme abusif et injustifié d’un professeur.
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Décentralisation, et plus... si affinités
La rentrée sera toutefois marquée par une forte décentralisation puisque les académies seront dorénavant amenées à jouer un rôle plus important dans la gestion des écoles, collèges et lycées. « Globalement, nous rentrons sereins dans un contexte beaucoup plus favorable.
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A Casablanca, nous parlons d’une offre scolaire qui s’accentue autour de 1 600 établissements où toutes les conditions ont été garanties pour réussir la rentrée. Nous ne souffrons d’aucun manque d’effectif, mais il faut tout de même noter l’inégalité de la répartition des enseignants, puisque nous constatons, et c’est un problème que connaissent plusieurs autres villes, qu’il y a des délégations qui en comptent beaucoup plus que d’autres », atteste Khadija Benchouikh, directrice de l’Académie de la région du Grand Casablanca.
Le ministère, qui s’était fixé pour objectif d’affecter tous les enseignants à l’échelle nationale avant la fin du mois de juillet, a réussi sa mission puisqu’ils sont 98% parmi les chefs d’établissements, enseignants et inspecteurs, à avoir déjà reçu leur affectation.
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L'un des plus gros budgets de l'Etat
« Absentéisme, multiplication des vacances, grand manque de pédagogie… Les professeurs ne travaillent pas assez dans ce pays. Résultat : la qualité de la formation est devenue un réel problème », déplore Akesbi. C’est dans ce sens que l’Etat a entamé la révision de tout le dispositif de l’enseignement, aussi bien sur le plan structurel qu’au niveau du contenu. Près de 8 000 enseignants ont été admis dans des centres régionaux.
Jouissant de l’un des plus gros budgets de l’Etat (34%), l’Education nationale emploie à elle seule près de la moitié des fonctionnaires du pays. Sujette à plusieurs tentatives de réformes depuis 1995, elle est devenue, en l’espace de quelques années, une sorte de rat de laboratoire subissant de multiples expériences au gré de ses réformateurs qui, en cas d’échec, en imposaient de nouvelles.
Ces réformes ont certes permis quelques avancées. Elles n’ont pour autant rien changé à la réalité amère qui maintient le système éducatif en état d’alerte. Plus que de moyens, l’école nécessite avant tout une pédagogie et des finalités. Efficace, elle produira la meilleure relève. Infructueuse, elle sacrifiera l’avenir de plusieurs autres générations, et, avec lui, l’aspiration à un Maroc meilleur.
Pour l’instant, la rentrée 2012/2013 s’annonce bien ordinaire. Les parents d’élèves devront donc encore patienter pour savoir s’il y a une chance de voir se réformer en profondeur – d’ici la fin de cette législature – un système dont chacun s’accorde à reconnaître les graves défaillances.
Ranya Sossey Alaoui |