Les chiens dangereux circulent sans encadrement dans nos villes. Ils sont parfois utilisés par des criminels et engendrent également des drames domestiques. Un texte de loi vient d’être validé afin de sanctionner les propriétaires inconséquents.
Â
Le petit Youssef Mahmoud, 4 ans et demi, a perdu, depuis septembre 2011, ses cordes vocales. Il s’est fait attaquer par les deux rottweilers du gardien de motos de son immeuble alors qu’il jouait dans la rue avec ses amis. Son père, Abdelmajid, a toutes les difficultés du monde à subvenir aux besoins de son enfant malade. « Le tribunal a décidé, en juin, d’octroyer à mon fils une indemnité de 200 000 dirhams, mais le gardien n’a pas les moyens de payer. Il n’a pas été arrêté car aucune loi ne prévoit de sanctions à l’encontre des propriétaire de ces molosses. » Au-delà des soucis d’argent, Abdelmajid est encore inquiet en raison du voisinage toujours peu sûr. « Il y a encore une vingtaine de chiens dangereux dans le quartier, essentiellement chez les gardiens. Ils traînent dans les rues et personne n’y peut rien », se désole-t-il.
A Hay Laymoune, dans la capitale économique, une autre famille vit dans la peur d’être attaquée par le chien des voisins, un pitbull appartenant à un retraité. Notre contact préfère même garder l’anonymat, par crainte de représailles. « Notre voisin considère son chien comme un fils et refuse de lui mettre une muselière. Quand on est allé voir le moqaddem, il nous a dit qu’il ne pouvait rien faire, car aucune loi n’interdit de posséder ces animaux », explique-t-il.
Â
Viols, agressions…
D’autres affaires impliquant des chiens dangereux ont nourri les rubriques de faits divers dans la presse. C’est le cas de ce père de famille attaqué par son propre pitbull qu’il a blessé par mégarde en sortant sa voiture du garage. Son fils a dû abattre l’animal qui refusait de retirer ses crocs. Le 25 juin dernier, des policiers ont été obligés de faire usage de leur arme à feu pour abattre un molosse lâché par un trafiquant de drogue recherché par la police à Tanger. Et ce ne sont là que des exemples.
Les pitbulls, rottweilers, staffs ou autres boerboels nécessitent un dressage spécial (voir encadré ci-contre) et ne devraient être détenus que par des personnes autorisées, et pour des usages de sécurité. Or, dans la réalité, ils sont à la portée du premier quidam capable d’acheter des bébés chiens dans les souks ou chez des marchands ambulants. Depuis le début des années 2000, le nombre de ces chiens ne cesse d’augmenter. Ils ont été introduits essentiellement par des immigrés, après l’adoption de lois restrictives en Europe.
Entre de mauvaises mains, ces gros chiens peuvent être utilisés comme des armes, ou servir à des paris illégaux  dans le cadre de combats de chiens. L’Association Najwa des victimes de chiens (ANVC) dénonce ainsi des cas d’agression et de viol perpétrés par des criminels qui utilisent des molosses pour maîtriser leurs proies.
Au Maroc, un vide juridique entoure la possession de chiens considérés comme dangereux, et est aggravé par l’absence de sensibilisation. Ce problème ne date pas d’hier. Un texte de loi a été proposé en 2008 par le parlementaire Fawzi Chaâbi. Mais il a été classé sans suite. L’ancien ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, avait lui aussi émis une circulaire interdisant les gros chiens. Là encore, la circulaire n’a jamais été appliquée.
Â
La loi Laenser
Les choses ont commencé à évoluer cette année quand l’actuel ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser, a déposé un texte de loi, validé en Conseil du gouvernement le 25 juin. Il prévoit des peines de prison allant jusqu’à six mois pour les propriétaires de molosses n’ayant pas d’autorisation, et jusqu’à cinq ans, en cas de décès de la victime. Le texte devrait être discuté par les deux chambres du Parlement durant les prochains mois, et entrer en vigueur avant la fin de l’année.
« Ce texte est d’une importance capitale. C’est un soulagement pour les victimes », s’enthousiasme Azzouz Awane, président de l’ANVC, une association qu’il a créée après que sa fille, Najwa, a été amputée d’une jambe en 2008, suite à une attaque de chien. Azzouz Awane regrette, cependant, que l’obligation de souscrire à une assurance pour l’indemnisation des victimes, proposée par son association qui a elle-même rédigé un projet de loi, n’ait pas été insérée dans la proposition de Laenser. Le texte en débat ne prévoit pas non plus l’instauration d’un « certificat de qualification » pour les propriétaires et n’interdit pas non plus l’accès aux lieux publics des chiens.
Suffisant ou pas, le futur texte réglementera la possession et la vente de gros chiens. En attendant que les citoyens prennent conscience de l’importance des règles à observer avant d’adopter un tel animal.
Zakaria Choukrallah |
Même un rottweiler, ça s’éduque !
Pitbull, tosa ou rottweiler… Ces grosses bêtes traînent une réputation de chiens féroces. Oui, mais non ! La source du danger, c’est plutôt le maître. C’est ce qu’affirme Nicolas Holgado, éducateur canin.
Â
Les premiers pas
Comme la loi de la jungle règne au Maroc, il est préférable de bien se renseigner avant de passer à l’acte d’achat.
Ensuite, une bonne formation s’impose. Ça passe par l’intégration d’un club canin. Nicolas Holgado l’affirme : « Au club de Bouskoura ou à celui du Cercle Amical Français par exemple, les novices peuvent être formés et encadrés. » L’on gagnerait par exemple à appliquer la méthode suisse : le futur propriétaire d’un gros chien dangereux passe un stage pour apprendre à l’éduquer.
Â
OĂą acheter ?
Evitez les animaleries. « Elles ne fournissent généralement pas de papiers sur les chiens (certificat de naissance, arbre généalogique) donc il n’y a pas de traçabilité. Pareil pour le commerce qui s’organise au bord de la route », explique Nicolas Holgado. Il faut plutôt se rendre chez les éleveurs professionnels qui se trouvent un peu partout au Maroc. Leurs points de repère sont les expositions canines, organisées par exemple à Rabat (en octobre prochain), Agadir ou encore Casablanca, et les concours pour chiens en ring (chiens de défense). Vous pouvez alors bénéficier d’un encadrement et de conseils pratiques.
Â
L’éducation : une tâche délicate
Travailler à la récompense est la clé d’une bonne éducation, contrairement à la punition qui reste, hélas, la règle sous nos latitudes. Cette dernière rend l’animal agressif. « Aujourd’hui, les méthodes basées sur la punition sont pratiquement révolues », atteste l’éducateur canin. La socialisation du chien, et ce, dès son plus jeune âge, est aussi un point capital dans son éducation. Il faut que le maître sorte son chien régulièrement, qu’il fréquente des lieux publics, etc.
Au final, le plus important est de prendre du plaisir à éduquer son animal de compagnie, sinon ça ne vaut pas le coup.
Kaouthar Oudrhiri |
|