Les autoritĂ©s mĂšnent une guerre sans merci aux sans-papiers depuis trois semaines. Les associations dĂ©noncent et appellent Ă une politique migratoire respectueuse de lâĂȘtre humain. Quelles sont les raisons de ce tour de visâ?
A lâheure du dĂ©jeuner ce lundi, on sert du tiĂ©bou dieun, le plat national sĂ©nĂ©galais. Nous sommes au petit marchĂ© de la vieille mĂ©dina de Casablanca, sur lâavenue des FAR. Les commerces des immigrĂ©s subsahariens ont dĂ©sormais pignon sur rue. Les filles se font des tresses dans la boutique de coiffure du coin, tandis que Mohamed Mustapha GuĂšye, le premier SĂ©nĂ©galais Ă sâinstaller dans ce marchĂ© en 2009, sâaffaire a confectionner les costumes et habits traditionnels et de ville dont il maĂźtrise la technique. Lâambiance est dĂ©tendue et les affaires marchent. Le courant semble passer entre les nouveaux gĂ©rants des boutiques spĂ©cialisĂ©es dans les produits «âafricainsâ» et les vendeurs marocains de DVD et dâaccessoires de tĂ©lĂ©phone.
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Entre 500 Ă 600 expulsions
Mais au-delĂ de cette apparente quiĂ©tude, se cache un profond malaise des immigrĂ©s subsahariens. Depuis environ trois semaines, les associations font Ă©tat dâune large campagne dâarrestation dâimmigrĂ©s sans papiers et dĂ©noncent des dĂ©lits de faciĂšs. Les rafles ont concernĂ© dâabord la ville de Casablanca, puis Rabat, FĂšs, Tanger ou encore Taourirt. Mais câest cette derniĂšre localitĂ© qui sâest particuliĂšrement distinguĂ©e.
Un rapport de lâAMDH (Association marocaine des droits humains), publiĂ© le 14 juin, dĂ©nonce une violente campagne dâarrestation dans cette petite ville proche de Nador. Lâassociation accuse les autoritĂ©s de Taourirt dâavoir montĂ© les habitants contre les immigrĂ©s, en brĂ»lant notamment leurs bagages devant la fouleâ!
A Hay Salam Ă Oujda, les Marocains qui hĂ©bergent des Ă©trangers «âclandestinsâ» ont Ă©tĂ© menacĂ©s de poursuites pour «âassistance et hĂ©bergement de personnes en situation irrĂ©guliĂšreâ». RĂ©sultatâ: les habitants ont peur de louer des logements aux Subsahariens, mĂȘme Ă ceux qui sont en situation rĂ©guliĂšre.
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Dâautres incidents ont Ă©tĂ© signalĂ©s notamment dans la gare de FĂšs ou 150 immigrĂ©s ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s. Plusieurs autres associations, dont lâOMDH, le syndicat ODT et les associations de Subsahariens dĂ©noncent cette «âchasseâ» aux clandestins. Une pĂ©tition circule et un rassemblement devait se tenir jeudi 21 juin devant lâambassade marocaine Ă Paris.
En tout et pour tout, «â500 Ă 600 immigrĂ©s ont Ă©tĂ© conduits au poste frontiĂšre dâOujda en prĂšs de trois semainesâ», croit savoir Hicham Rachidi, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du GADEM (Groupe anti-raciste dâaccompagnement et de dĂ©fense des Ă©trangers et des migrants). Selon les estimations des ONG, il y aurait entre 12â000 et 15â000 immigrĂ©s en situation irrĂ©guliĂšre sur le territoire national. Et ces derniers temps, il ne fait pas bon en faire partie.
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Vols de passeports, bakchichsâŠ
Cette campagne a installĂ© un climat de terreur dans les milieux des immigrĂ©s. Au souk de la vieille mĂ©dina de Casablanca, Malik, vendeur de colliers sĂ©nĂ©galais est Ă bout de force. Il envisage de rentrer au plus tĂŽt dans son pays aprĂšs deux ans passĂ©s au Maroc. «âOn est fatiguĂ©, il y a trop de problĂšmes. Je passe mon temps Ă contourner la police dans la rue.â» Comme nombre de ses concitoyens, il trouve toutes les difficultĂ©s du monde Ă renouveler sa carte de sĂ©jour.
Mohamed Mustapha GuĂšye est lui aussi condamnĂ© Ă se cacher en attendant sa carte. «âChaque annĂ©e, ils demandent de nouveaux documents. Je suis le premier commerçant Ă©tranger ici. Je fais travailler des Marocains et des Subsahariens. Ils veulent des bulletins de salaire, mais un contrat de bail devrait suffireâ! Je suis pour mettre dehors les gens qui font des trafics, mais moi je ne fais pas de zigzag. Je ne suis pas un mafiosiâ», sâinsurge-t-il.
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Daouda Mbaye, lui, est journaliste. Il est installĂ© au Maroc depuis plus de vingt ans avec sa petite famille dans un appartement quâil a achetĂ©. Ses enfants sont de nationalitĂ© marocaine. Tout cela ne lui Ă©pargne pas les tracasseries administratives et policiĂšres. Il dĂ©nonce la multiplication des dĂ©lits de faciĂšs. «âJâai Ă©tĂ© contrĂŽlĂ© par la police une ou deux fois mais, heureusement, jâavais mes papiers. Il faut ĂȘtre en rĂšgle, on est dâaccordâ; mais le hic est que les dĂ©marches sont fastidieuses et Ă Casablanca, quatre ou cinq policiers sâoccupent des formalitĂ©s administratives de tous les Ă©trangers et sont dĂ©bordĂ©s. Ăa favorise les traficsâ», explique Daouda. Les trafics que dĂ©noncent les immigrĂ©s vont du vol de passeport par des bandes organisĂ©es aux bakchichs pour obtenir par exemple de fausses dĂ©clarations Ă la caisse sociale.
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⊠Racket et violsâ!
Quâils soient en attente de papier ou sans papiers, les immigrĂ©s vivent dans la peur. Sâils sont arrĂȘtĂ©s, ils attendent au poste pendant 48h la dĂ©cision dâexpulsion du juge en vertu de la loi 02-03 qui fixe les modalitĂ©s du retour au pays dâorigine. «âOn nous prend quatre photos, comme si on Ă©tait des criminelsâ», sâinsurge une jeune femme dont la sĆur a fait les frais de ces arrestations. Les immigrĂ©s sont la plupart du temps emmenĂ©s en bus Ă Oujda ou «âils sont refoulĂ©s aux frontiĂšresâ», explique Pierre Delagrange, prĂ©sident du Collectif des communautĂ©s subsahariennes. Il ajoute quâils finissent par revenir, en passant par dâautres chemins, en prenant le risque de subir des tirs de sommation des gardes-frontiĂšres algĂ©riens. «âLes arrestations collectives et les refoulements sont normalement interdits par la loi. Le renvoi aux frontiĂšres algĂ©riennes est illĂ©gal. Il faudrait enquĂȘter au cas par cas, les mettre dans un avion Ă destination de leur pays. Malheureusement, lâUnion europĂ©enne, qui veut combattre lâimmigration, donne les moyens de la rĂ©pression mais ferme les yeux sur le respect des procĂ©duresâ», renchĂ©rit Hicham Rachidi, qui rĂ©clame la rĂ©gularisation de la situation de tous les immigrĂ©s.
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Lâabsence de politique migratoire favorise les rĂ©seaux de mafias, dĂ©nonce un autre militant. Les immigrĂ©s sont rackettĂ©s, les femmes subissent des viols, et certaines jeunes femmes tombent sciemment enceintes pour ne pas ĂȘtre expulsĂ©es, car la loi interdit le renvoi dans ce cas. Quid donc de lâavenir de ces enfants qui naissent sur le sol marocain et devront aller Ă lâĂ©cole, Ă lâhĂŽpitalâ? On lâaura comprisâ: lâimmigration est devenue un vĂ©ritable enjeu sĂ©curitaire mais aussi humanitaire pour le Maroc. Le Royaume Ă©tant passĂ© de pays de transit Ă une terre dâaccueil des immigrĂ©s, comment gĂ©rer les flux dâarrivĂ©eâ? Quelle politique migratoire adopterâ? Les solutions ponctuelles ont fait leur tempsâŠ
Zakaria Choukrallah
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