Même si la communauté internationale réduit drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, les changements climatiques sont inéluctables. Les plus grands spécialistes se sont penchés sur les scénarios catastrophes.
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Les chiffres sont là . D’ici 2070, selon des estimations de la direction de la météorologie nationale, « le Maroc pourrait connaître une augmentation de température de 2 à 5 degrés ainsi qu’une baisse des précipitations de 5 à 40 %, surtout au niveau du Moyen Atlas ». Le climat change, il change vite, et les effets de ces changements nous affectent déjà . Alors que, jusque-là , les écologistes qui s’en alarmaient passaient pour de doux rêveurs, on commence à comprendre que les changements climatiques ont, et vont avoir, des retombées concrètes et souvent dramatiques pour le Maroc. Le plus injuste dans l’histoire, c’est que les pays qui sont les premiers responsables du phénomène ne sont pas les plus touchés par ses conséquences.
Cependant, il ne s’agit pas de rester les bras croisés, en attendant que les USA, l’Europe, la Chine ou encore l’Inde s’accordent à polluer moins. En effet, si le Maroc doit aussi contribuer, à son niveau, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, il doit surtout s’adapter rapidement aux effets des changements climatiques. C’était le thème d’une rencontre organisée les 16 et 17 mars dernier à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ben M’Sick de Casablanca, intitulée « Adaptation aux changements climatiques au Maghreb : Bilan et Perspectives ».
En effet, pour les universitaires et les scientifiques qui y participaient, même si le réchauffement climatique ne dépasse pas le seuil critique des 2°C d’ici la fin du siècle, il provoquera de graves crises environnementales, mettant en danger la sécurité alimentaire du pays : sécheresse, manque d’eau, dégradation des sols... Et ce, dès 2020. Ainsi, le climatologue marrakchi Abdelaziz Yahyaoui explique que « selon les résultats des projections, à l’horizon 2020, le pays subira une élévation de la température de l’ordre de 0.6 à 1.1 °C, une baisse des précipitations de 1 à 12 % (plus prononcée sur les reliefs), une élévation du niveau de la mer de l’ordre de 2,6 à 15,6 cm, et enfin, une recrudescence des phénomènes extrêmes (sécheresse, inondations, dérèglement du signal saisonnier des précipitations) ». C’est donc dès maintenant qu’il faut agir, et pour une fois, écouter les scientifiques et les spécialistes avant que les problèmes ne soient irrémédiables.
Ne plus perdre une goutte
Les ressources hydriques dont dispose actuellement le Maroc sont très limitées, et évaluées à 29 milliards de m3/an, soit 1 044 m3 par habitant et par an, ce qui nous place déjà en situation de stress hydrique. En 2020, selon les projections, ce ratio va tomber à 786 m3, nous rapprochant fortement de la pénurie, en partie à cause de l’augmentation continue des besoins et de l’impact des changements climatiques. Et ce, alors même que les eaux de surface sont presque totalement mobilisées, et les eaux souterraines, surexploitées.
Pour faire face à cette vulnérabilité extrême, le climatologue Abdelaziz Yahyaoui recommande de réutiliser les eaux usées (qui représenteront 900 millions de m3 / an à l’horizon 2020) pour l’arboriculture et l’arrosage des espaces verts, et de lutter contre les pollutions qui menacent les ressources hydriques avant d’explorer les voies coûteuses du dessalement d’eau de mer. Quant aux barrages, il faut avant tout les entretenir : à cause de leur envasement, on perd chaque année l’équivalent d’un barrage moyen, soit 65 millions de m3 ! Il faudrait d’autre part construire davantage de retenues collinaires, de petits barrages situés au bout de vallées et permettant de stocker une part des écoulements d’eaux.
Et comme les deux dernières années le montrent, ajoute le professeur Elbekkaye Ziane, « des barrages doivent être construits pour faire face à la sécheresse, certes, mais aussi pour éviter le gaspillage et les inondations pendant les années d’abondance ». Enfin, le gaspillage doit être combattu, comme le pompage des nappes phréatiques pour l’arrosage de plus de 10 golfs prévus à Marrakech, ce qui fait de la ville rouge, « une bombe à retardement » selon les scientifiques.
ArrĂŞter le gaspillage
Les effets des changements climatiques sont déjà visibles. Selon le climatologue Mohammed-Saïd Karrouk, on constate un glissement des zones climatiques vers le nord, et « le climat que nous avions dans les années 60 et 70 se trouve aujourd’hui dans le sud de l’Espagne ». Les rendements agricoles sont aussi fragilisés par la hausse des températures et la baisse des précipitations, notamment pendant les saisons intermédiaires, ce qui allonge d’autant la saison sèche. Le cycle de croissance est plus court, les rendements sont donc moindres. Et parce que le froid ne tue plus certaines maladies, quelques espèces ne sont plus adaptées. Ainsi, selon le professeur Yahyaoui, les rendements des céréales devraient baisser de 50 % pendant les années sèches et de 10 % pendant les années normales, pour la période 2000-2020.
Alors qu’environ 90 % des eaux de pluie récoltées par les barrages sont utilisées par l’agriculture, 62 % de cette eau seraient perdus (gaspillage, évaporation). Pour le docteur Abdelouahid Chriyaa, la solution passe donc par la mise en place de meilleures techniques d’irrigation, notamment le goutte à goutte, mais aussi par la valorisation de l’eau de pluie, par exemple en travaillant le sol de manière à optimiser les pluies. Il cite aussi l’utilisation d’espèces (végétales ou animales) qui demandent moins d’eau, ou la plantation d’arbustes autour des champs notamment pour valoriser la terre (ce qui multiplie sa productivité par 1,5).
Mais ces innovations sont difficiles à mettre en place, le faible pouvoir d’achat des agriculteurs handicapant toute action de modernisation de l’agriculture puisqu’ils n’ont pas les moyens d’acheter les produits nécessaires : semences sélectionnées, engrais, produits phytosanitaires, etc.
Construire autrement
Alors que les crues depuis les années 80 (2009 et 2010 exceptées) sont moins importantes que celles du début du siècle, les dégâts, eux, sont plus importants, note le professeur Gartet dans une étude sur la ville de Fès. La responsabilité en incombe aux hommes, qui construisent dans, ou trop près, du lit des oueds. Les phénomènes climatiques extrêmes, pluies violentes et orages étant appelés à se multiplier, des règles strictes doivent être appliquées ; on ne peut plus se permettre d’ignorer la nature. Pour le professeur Elbekkaye Ziane, il faut repenser l’urbanisation, les infrastructures, et ce, région par région : « Au Maroc, on construit comme si on était toujours au mois d’août, il faut arrêter. » De même, en ville, il faut pénaliser la construction d’immeubles aux « façades rideaux », qui imposent l’usage de la climatisation dans un pays où plus des deux tiers de l’année sont ensoleillés.
3 500 km de cĂ´tes Ă surveiller !
Avec plus de 3 500 km de côtes, et 80 % de l’industrie concentrée dans la zone côtière, le Maroc est également frappé de plein fouet par la hausse du niveau des mers. Selon Abderrahman El Fouladi, consultant spécialisé dans l’étude du niveau des océans, « on risque une hausse du niveau de la mer allant de 5 à 7,5 mm par an. Une augmentation qui peut sembler minime, mais en intégrant la dynamique des vagues ainsi que certains phénomènes naturels, les conséquences sont potentiellement catastrophiques ».
Ces conséquences incluent des risques accrus d’inondation, la pollution des eaux côtières, (par le contenu des décharges et des égouts), et l’érosion des côtes, qui peut provoquer des glissements de terrains. « Quand je pense que l’on continue à construire des stations balnéaires, comme celle de Saïdia, les “ pieds dans l’eau ”, c’est une aberration », s’exclame le professeur Ziane ! Enfin, l’eau salée peut infiltrer les nappes phréatiques à proximité des côtes, saliniser les fleuves, et empêcher ainsi toute agriculture…
Pour El Fouladi, il n’y a pas de solution toute faite, il faut avant tout lancer des études et délimiter les zones à risque afin de prendre « des décisions avisées quant au renforcement des défenses des infrastructures ou leur délocalisation, et aussi de mieux localiser les projets futurs ». Des études qui auraient été les bienvenues avant la construction de nombre de projets immobiliers sur la côte, voire même carrément, sur la plage…
DĂ©sertification : la grande menace
90 % du territoire marocain se trouve dans une zone climatique aride ou semi-aride, et plus de 80 % du territoire est sévèrement menacé par la désertification. 31 000 hectares de couvert forestier et 0,5 % de la surface agricole seraient perdus chaque année. D’ici une cinquantaine d’années, si rien n’est fait, la désertification, contre laquelle on lutte maintenant au sud de l’Atlas, pourrait gagner les plaines situées entre la chaîne montagneuse et l’Océan.
Au-delà de la disparition et de l’altération des milieux naturels et des ressources dont dépendant beaucoup de Marocains dans le rural, la désertification a des conséquences plus inattendues : le couvert forestier joue un rôle très important dans la retenue des eaux, leur infiltration souterraine et la prévention des crues.
Enfin, il prévient aussi l’érosion et donc, l’envasement des barrages. Pour combattre la désertification, il faut intensifier les opérations de reboisement, arrêter le pompage abusif des nappes phréatiques (notamment à des fins touristiques dans les systèmes oasiens), et lutter contre l’ensablement.
Amanda Chapon |