Quelle est la situation des droits de l’homme au Maroc ? Entre la version officielle défendue par Ramid à Genève et celle des ONG, il y a sûrement un juste milieu. Revue complète des arguments des uns et des autres.
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Il devait vendre l’image du Maroc à Genève, et le moins que l’on puisse dire est que Mustafa Ramid, ministre de la Justice et des Libertés, a bien joué les VRP. Il a brossé un tableau idyllique lors de la présentation du deuxième rapport sur la situation des droits humains au Maroc devant le Conseil des droits de l’homme (CDH). Dans cet exercice, Ramid a été parfois convaincant mais souvent trop élogieux, ce que les ONG critiques n’ont pas manqué de signaler. Le ministre a voulu démontrer que le Maroc était un bon élève en tant que signataire d’un certain nombre de conventions onusiennes, dont celles relatives aux droits des personnes handicapées, à la lutte contre le crime organisé, à la traite humaine, à la discrimination envers les femmes, contre la torture, etc. Pour enfoncer le clou, il a aussi rappelé la mise en place de nouvelles instances comme le médiateur ou encore la constitutionnalisation du Conseil des droits de l’homme. Mustafa Ramid a également annoncé que le Maroc allait désormais élaborer un rapport tous les deux ans (au lieu de quatre) et autoriser tous les mécanismes onusiens de contrôle des droits de l’homme. Des engagements qui ont leur importance et que les différentes délégations présentes ont salués. Les 95 pays qui ont suivi la déclaration marocaine ont formulé au total 148 recommandations auxquelles le Maroc a répondu sur-le-champ, sans attendre le mois de septembre, date butoir fixée par le Conseil pour qu’un pays membre se prononce. Une seule recommandation a été formellement rejetée : c’est celle formulée par l’Uruguay qui a demandé à ce que la Minurso, la mission d’observation onusienne au Sahara, s’occupe également du suivi des droits humains. Cela étant, le diagnostic de Ramid a été mis a mal par les observations des ONG, nationales et internationales, également invitées à faire part de leurs remarques au CDH.
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Recommandations de l’IER : on est encore loin du compte
Tandis que Mustafa Ramid insistait sur le renforcement des « mesures de prévention contre la torture, aussi bien au niveau des textes que de la pratique et de la mise en œuvre des recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER) », le rapport de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), envoyé à Genève en parallèle, ne faisait pas dans la dentelle. L’AMDH accuse les autorités de ne pas avoir mis en œuvre les recommandations les plus importantes de l’IER six ans après leur publication. Ainsi, toutes les affaires de disparitions forcées, dont celle emblématique de Mehdi Ben Barka, n’ont pas été révélées. En plus, l’Etat n’a pas présenté d’excuses, note l’association. Les zones marginalisées continuent de l’être et l’ONG en veut pour preuve les émeutes qu’ont connues les villes de Taza, Sefrou, Sidi Ifni ainsi que d’autres localités. L’indemnisation de toutes les victimes ainsi que la transformation des centres de détention arbitraire en centres de mémoire sont toujours en cours. Il en va de même pour l’abrogation de la peine de mort, qui figure pourtant comme recommandation de l’IER validée par le roi et entérinée par la Constitution qui garantit « le droit à la vie ». Le représentant de la France a même appelé le Maroc à transformer les peines de mort prononcées depuis 1993, date de la dernière exécution, en peines de prison. Mais sur cette question, le débat semble encore sclérosé et il faudra sûrement du temps avant que le moratoire de fait sur la peine capitale ne se transforme en annulation pure et simple de la peine de mort.
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Liberté d’expression : elle reste timide
Sur le terrain de la liberté d’expression et d’association, le ministre a été sérieusement interpellé sur des cas qui ont entaché la réputation du Royaume ces dernières années : de l’affaire Niny aux barrières encore dressées devant certaines associations qui ont du mal à décrocher leurs récépissés, en passant par les procès du rappeur L7a9ed et des blogueurs.
La France a appelé le Maroc à « supprimer les peines privatives de liberté et à revoir les procédures judiciaires relatives à la liberté d’expression dans la prochaine loi qui sera élaborée ».
Le représentant des Etats-Unis a exprimé « son inquiétude » quant aux arrestations qui continuent de concerner les journalistes, les blogueurs et les artistes marocains. Les Etats-Unis ont aussi formulé des craintes sur les pressions que subissent les minorités religieuses.
Sur l’emprisonnement de journalistes, Ramid a eu une déclaration étonnante : en voulant atténuer cette critique, il a expliqué que seulement deux cas avaient été enregistrés ces dernières années (n’est-ce pas deux de trop ?). Il a ajouté que le Maroc se dirigeait vers un nouveau code de la presse « sans peines privatives de libertés » et qu’un large débat était en cours sur ces questions. Reste à transformer cette annonce en mesures concrètes dans la future législation.
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Violences policières :pour les ong, les exactions continuent
Une affaire en particulier a gêné la délégation marocaine, celle de Soufiane Azami, étudiant islamiste qui aurait été enlevé et torturé, ce qui aurait détérioré sa santé mentale. Un cas encore voilé de mystère sur lequel il est difficile de se prononcer pour l’heure. L’affaire a été soulevée à Genève par une militante algérienne et a surpris Ramid qui n’en était pas informé. Il a ordonné une enquête par la suite dont les premiers éléments indiquent que le jeune se trouvait dans un état « hystérique et dépressif ». Le ministre a même émis un communiqué dans lequel il écrit : « Le Royaume du Maroc, dont le peuple a approuvé une nouvelle Constitution qui considère les arrestations arbitraires ou secrètes et la disparition forcée comme étant des crimes graves dont les auteurs encourent les peines maximales, ne peut en aucun cas tolérer ces pratiques criminelles et odieuses et fera preuve de diligence dans la poursuite de leurs auteurs, quelles que soient la qualité et la position. » Un engagement que Mustafa Ramid n’a eu de cesse de répéter, mais qui n’a manifestement pas convaincu les ONG.
Si cette affaire a retenu l’attention parce qu’elle est récente, d’autres cas ont été soulevés dans les rapports parallèles des associations, comme l’affaire Kamal Ammari, jeune membre du 20-Février décédé lors d’une manifestation à Safi dans des circonstances non élucidées. Un rapport de l’US Department of State s’étonne que « le CNDH ait diligenté une enquête mais n’ait pas rendu publics ses résultats ». Il en va de même pour l’affaire Karim Chaib, décédé à Séfrou l’année dernière, ou encore des cinq manifestants morts dans une banque à Al Hoceima. Le rapport américain remarque que pour les affaires de torture présumées, « les enquêtes policières se terminent toujours par la négation de ces allégations ». Le représentant de la délégation suisse a, lui, pointé du doigt la poursuite des « exactions commises par les forces de l’ordre spécialement lors des manifestations pacifiques » et a suggéré de former la police marocaine aux droits humains.
Le rapport du département d’Etat américain va plus loin dans la critique et annonce, sur la foi de données collectées par des associations locales, que 114 cas de « disparitions » n’ont pas été révélés jusque-là , surtout dans la région du Sahara. Le rapport est aussi revenu sur les allégations de « torture dans le centre de Témara » et la situation des prisons. Les 61 centres pénitentiaires du Royaume, qui accueillent plus de 65 000 prisonniers, souffrent de surpopulation carcérale. L’US Department of State a ainsi enregistré 77 décès dans les prisons à cause de maladies.
Quand Ramid loue les efforts de « gestion des prisons et d’amélioration des conditions de détention et de formation pour la réinsertion des détenus et la sauvegarde de la dignité humaine […], l’ouverture des centres pénitentiaires aux visites des ONG qui contribuent à leur humanisation », le rapport américain affirme que ces visites sont « rares », et « non encouragées » par la délégation de l’administration pénitentiaire. Mais le ministre a semble-t-il retenu cette remarque, dans la mesure où l’administration des prisons vient d’autoriser une visite de la société civile aux prisonniers salafistes ainsi qu’à Abdelhanine Benallou et au rappeur L7a9ed.
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Situation des femmes : des engagements plus fermes que ce qui Ă©tait attendu !
La question des droits des femmes est celle qui est revenue le plus souvent dans la bouche des représentants de pays qui ont assisté à la présentation.
Mustafa Ramid a dû essuyer une critique de la délégation belge qui a demandé l’abrogation de la polygamie et du mariage des mineures. La remarque n’était pas dirigée contre lui, mais le ministre a sûrement dû avoir un pincement au cœur, sachant qu’il est lui-même marié à deux femmes... L’affaire Amina a également été soulevée. Le ministre a expliqué aux délégations présentes que le sujet faisait toujours l’objet de débat et, surprise, il a promis de revoir l’article 475 du code pénal qui autorise implicitement le mariage de la victime avec son violeur.
Autre annonce : le Maroc va élaborer une loi incriminant la violence domestique et la violence contre la femme dans un maximum de quatre ans. Le ministre a aussi énuméré les avancées enregistrées par le pays dans le domaine des droits des femmes : la lutte contre les violences fondées sur le genre, l’intégration de l’approche genre dans le budget général de l’Etat, l’accès des femmes aux services publics et leur participation à la gestion de la chose publique… Par contre, le Maroc n’est pas près d’accepter l’égalité du genre dans l’héritage et dans la succession au trône, deux des remarques adressées au Royaume.
Zakaria Choukrallah |