Malgré le peu de moyens, une couverture encore partielle du territoire et nombre de radios concurrentes, Radio Mohammed VI du Saint Coran s’est, en huit ans, hissée en tête des stations les plus écoutées par les Marocains. Voici les raisons de ce miracle radiophonique.
Ils sont une trentaine de cadres ( journalistes et personnel administratif ) à occuper les locaux exigus de Radio Mohammed VI du Saint Coran dans le 1, rue Brihi, le siège de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT). Un petit immeuble qu’ils partagent avec le service sportif et la radio amazighe. Quelques ordinateurs, une salle de réunion, un petit cagibi pour enregistrer la voix, et c’est tout. Pour réaliser leur direct, ils doivent descendre du troisième étage à pied, puis emprunter l’ascenseur du grand bâtiment de la télévision et de la radio où se trouve le studio principal. Pour les émissions préenregistrées, ils utilisent un studio à temps partiel de 9 h à 14 h, puis c’est au tour de la radio amazighe de l’exploiter. Bref, ils travaillent avec les moyens du bord, un peu moins pauvres que Job, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont en odeur de sainteté auprès de leur public.
Les chiffres officiels rendus publics par le CIRAD* (Centre interprofessionnel de mesure d’audience radio) sont sans appel : la radio coranique est en tête de l’audimat avec 15,25% d’audience, soit 3 737 000 auditeurs en moyenne ! Radio Mohammed VI n’est talonnée que par Medi 1, la station généraliste fondée en 1980 et qui enregistre 15,07% des parts (3,692 millions d’auditeurs, malgré plus de deux décennies de fidélisation du public). La chaîne nationale arrive en troisième place avec 10,25% des parts, puis Chada FM avec 7,25% et Radio 2M avec 7,17% d’auditeurs. MFM, Med radio, Hit Radio, Cap, Mars, Radio plus, Aswat, Atlantic et toutes les autres radios (exceptée Luxe, non encore concernée par l’étude) enregistrent moins de 5% d’audience. Mieux, la chaîne coranique serait très écoutée aussi, si l’on croit ses employés, en Espagne et jusqu’aux Etats-Unis grâce au lecteur sur Internet et à la diffusion par satellite.
« L’habit ne fait pas le moine »
Ce vendredi, Abdeslam Ziane, directeur des programmes de la chaîne nous reçoit chaleureusement autour d’un thé, un numéro d’actuel entre les mains pour faire connaissance. Il ne porte pas de djellaba ni de barbe, mais une chemise blanche et une moustache. Les femmes sont certes voilées, mais aucune règle n’impose un style vestimentaire. « Nous attachons peu d’importance à l’apparence, comme ont dit, l’habit ne fait pas le moine ! », sourit Abdeslam, les écouteurs vissés sur les oreilles pour ne rater aucune émission. Et il veille au grain. « On n’est pas du tout surpris par les chiffres. Quand je passe à côté du boucher, de l’épicier, quand je prends le taxi, je constate notre popularité. On avait le feed-back et on savait qu’on était les meilleurs. On n’attendait que la reconnaissance », lance ce vieux routier du service public qui a passé trente-cinq ans dans les dédales de la radio nationale.
Au lancement de la chaîne coranique, personne n’aurait parié trois jours de jeûne sur son succès et ce, malgré la mission délicate qui lui avait été confiée par le roi, le 16 octobre 2004, date de son inauguration un peu plus d’un an après les attentats sanglants du 16 mai 2003. Profession de foi de la jeune radio d’après une dépêche MAP de l’époque : « Devenir un outil essentiel de l’identité nationale [...] refléter les orientations du Maroc dans le domaine religieux […] porter un message de tolérance et d’ouverture inspiré du Coran et de la Sunna. »
Â
Fatwas « homologuées »
Huit ans plus tard, c’est mission accomplie. Radio Mohammed VI est devenue une véritable arme de guerre qui a pu imposer la vision officielle de l’islam sur les ondes. La chaîne dépend du pôle audiovisuel public et agit en coordination avec le ministère des Affaires islamiques et le Conseil des Oulémas. Elle relève le défi dans un Maroc où le discours salafiste jihadiste est largement accessible par MP3, CD, chaînes satellitaires et Internet, en plus d’être séduisant car généralement populiste. Comment une chaîne « modérée », qui plus est officielle, a-t-elle réussi à s’imposer sur les ondes ? « La radio est plus pratique, plus diversifiée et construit un lien avec l’auditeur, contrairement à un CD. De plus, les gens se reconnaissent dans une pratique islamique qui leur ressemble, conforme à l’héritage de leurs ancêtres, qui n’est pas la vision orientale de l’islam. On délivre un service, avec un islam filtré », explique Abdeslam Ziane.
La programmation de la chaîne est une des raisons de son succès : la grille est bien étudiée et organisée en tranches horaires. La matinale de 6 h à 10 h est interactive, avec de l’animation et les questions des auditeurs. De 8 h à 10 h, le prime matinal sous forme de lecture de Coran est le plus écouté. De 10 h à 13 h, l’antenne diffuse des émissions et des magazines de société, avec toujours un angle religieux, suivis d’une heure de Coran. A partir de 14 h et jusqu’à 19 h, d’autres émissions plutôt courtes, sont au programme. 50 émissions de la Radio Mohammed VI sont des capsules de moins de 5 minutes. A 19 h, c’est le rendez-vous le plus attendu de la chaîne : l’émission Yass’alounak (ils vous questionnent), animée chaque jour par un journaliste d’une des cinq radios régionales et un représentant du Conseil des oulémas. Ils y délivrent des fatwas « homologuées » sur des questions aussi diverses que « les bonnes manières du musulman », « les droits du consommateur », « la musulmane face aux défis de la mondialisation », etc. « De 19 h à 20 h, c’est l’hystérie au standard. On reçoit des centaines d’appels », raconte Khalid Bellout, responsable de la programmation qui confie que ses amis lui demandent parfois une copie numérique de l’émission après sa diffusion.
Â
Premiers sur l’arabe
Le succès populaire de la chaîne est aussi à chercher du côté du grand engagement de son personnel. La plupart des embauches se font parmi les lauréats des filières islamiques en plus de journalistes qui ont formulé le vœu de travailler pour une « radio musulmane ». Et ce n’est pas les candidats qui manquent, malgré la rareté des profils de journalistes radio. Siham Fawzi, après une expérience en presse écrite et à la télévision, a intégré la chaîne coranique depuis deux ans, en raison de ses penchants spirituels, mais aussi pour relever le défi de concilier journalisme de reportage et d’enquête avec la thématique religieuse. Hayat El Khadi, voilée mais maquillée et plutôt moderne, vient de la radio nationale et a été séduite par l’ambiance « familiale et solidaire » qui règne au sein de la Radio Mohammed VI.
Il y a aussi la maîtrise de l’arabe que leur envient même leurs confrères de la radio nationale, nous affirment-elles. Elles nous montrent un tableau où l’un de leur collègue leur dispensait des cours d’arabe entre midi et quatorze heures ! Autrement dit, en pleine pause déjeuner. L’équipe regrette seulement de ne pas disposer d’un service production et d’un studio d’enregistrement à temps plein pour pouvoir réaliser des reportages et des enquêtes. Les journalistes sont fréquemment contraints d’enregistrer par téléphone. L’équipe attend aussi la généralisation de la diffusion dans tout le Royaume en juin (la radio ne diffuse à 100% que dans la région Casa-Rabat et au Sahara !) Hormis ces petits désagréments techniques, l’équipe croit dur comme fer à l’avenir de la chaîne. « On travaille dans une radio coranique et avec l’esprit du Coran », résume Hayat. A Radio Coran, c’est sûr, on a la foi.
Zakaria Choukrallah
*L’étude a été réalisée par téléphone sur un échantillon de 12 000 interviews par vague, représentatif de la population résidant au Maroc, âgée de 11 ans et plus. L’échantillon couvre toutes les zones géographiques urbaines et rurales, et toutes les variables socioprofessionnelles, avec des échantillons journaliers et hebdomadaires. |