Tabagisme, dépressions, anesthésie, dermatologie ou pneumologie… L’hypnose, qui permet de soigner les addictions comme d’accompagner les patients cancéreux, reste peu utilisée au Maroc.
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Il y a vingt-cinq ans, un médecin marocain m’a appelé pour me demander s’il pouvait venir à ma première conférence ici. Sa femme lui avait dit que l’hypnose était le diable, et il avait peur de se faire manipuler. Il est finalement venu. Il s’est assis pas loin de la porte. Dix ans plus tard, il est devenu formateur en hypnose ! L’hypnose, ce n’est pas de la magie, c’est de la physiologie », raconte le professeur Jean Becchio, spécialiste français et principal formateur des médecins marocains à l’hypnose médicale. C’est pour faire connaître cette technique encore nouvelle chez nous mais largement reconnue par la communauté scientifique internationale que l’Association marocaine d’hypnose clinique (AMHYC) a organisé une rencontre avec les professionnels, le 27 avril à Casablanca.
Il n’y a pour le moment que 45 médecins formés aux techniques de l’hypnose médicale au Maroc. « On ne peut pas encore parler d’engouement », explique Myriam Nciri, médecin généraliste et présidente de l’AMHYC, qui anticipe les craintes qui subsistent chez les profanes : « Tout ce que l’on risque quand on se fait hypnotiser, c’est de se sentir mieux ! »
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Traiter le cancer
Les premières expériences menées par nos médecins depuis quatre ans, date de création de l’association, s’avèrent concluantes.
Le Dr Hassan Talbi est l’un des quatre anesthésistes marocains à utiliser cette technique pour endormir les patients qui doivent subir une opération chirurgicale. Cela s’appelle l’hypno-sédation, une technique anesthésique reconnue depuis 1992 dans le monde. Grâce à l’hypnose médicale, le patient souffre moins de douleurs postopératoires, utilise moins de médicaments sédatifs et reprend ses activités après 12 jours en moyenne au lieu de 33 jours ! Sur 3 500 patients, seuls 18 n’ont pas été réceptifs et ont nécessité une anesthésie générale. L’économie financière sur le traitement est aussi intéressante dans un pays où la population n’a pas toujours les moyens de se soigner. « J’ai réduit de moitié les coûts de la fibroscopie grâce à cette technique », s’enthousiasme le Dr Talbi.
C’est aussi dans la prise en charge et l’accompagnement de maladies graves que l’hypnose peut s’avérer un outil de choix. Nezha Tawfik, oncologue au CHU Ibn Rochd de Casablanca, a pu la tester auprès des malades cancéreux. Elle n’a pu le faire que sur trois patients pour le moment, mais son expérience est encourageante dans la mesure où c’est la première du genre dans le secteur public. Le Pr Taoufik a eu recours à l’hypnose sur une patiente en fin de traitement qui n’arrêtait pas de pleurer mais qui a pu puiser de la force en elle pour continuer les soins, et sur un homme qui refusait de reprendre la radiothérapie.
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Des mots contre les maux
Mais le plus impressionnant, c’est le résultat obtenu sur un patient en phase terminale qui refusait absolument tous les soins. « J’ai fait avec lui une séance de 15 minutes, au cours de laquelle il s’est extirpé de sa douleur durant cinq minutes. Lors des derniers moments de sa vie, il a demandé à sa femme de lui photocopier les exercices d’auto-hypnose pour qu’il continue à s’y essayer », raconte le professeur.
Cela peut sembler anodin, mais il faut comprendre qu’ à un tel stade de la maladie, la souffrance est continue et quelques minutes de répit ne sont pas négligeables.
L’hypnose médicale sert aussi au tout début du diagnostic, au moment de l’annonce d’un cancer par exemple. « Il faut apprendre à distiller la vérité, trouver le bon moment, éviter les mots qui font mal », explique Jean Becchio. On comprend que l’hypnose, ce n’est pas le cliché du pendule qui nous endort. C’est une affaire de choix de mots, une formation de 30 heures qui devient un outil thérapeutique destiné à tous les « soignants » : généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, psychologues, sages-femmes, etc. Dans l’unité de soins palliatifs qu’il dirigeait, le professeur Jean Becchio démontrait ainsi qu’il suffisait qu’un infirmer dise « je vais vous faire un soin qui va vous soulager » au lieu de « je vais vous faire une piqûre, ça ne va pas durer longtemps, ça ne va pas vous faire mal » pour que le soin soit plus efficace.
Du chamanisme en passant par le magnétisme, l’hypnose médicale est la rationalisation de ces croyances que l’on nomme aujourd’hui processus hypnotique, et que le soignant se contente « d’activer ». On ne va plus chez un praticien pour « se faire hypnotiser », mais pour apprendre l’auto-hypnose.
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Hypnose en darija
En suggérant au public, juste à travers des mots, d’imaginer le goût que peut avoir un citron vert que l’on mettrait dans la bouche, Jean Becchio explique le fonctionnement du processus hypnotique : notre cerveau anticipe un produit dont la muqueuse de la bouche doit se protéger. Il excite automatiquement la sécrétion de salive
Pour le moment, l’hypnose médicale n’est pas enseignée dans les universités marocaines, elle est dispensée par des médecins français de la faculté de médecine Kremlin-Bicêtre Paris XI.
La discipline se heurte à une autre difficulté : la langue. Les médecins de l’association ont crée un groupe de travail pour trouver les mots en darija afin d’ouvrir le champ d’intervention de l’hypnose. Quand il s’agit de s’adresser à l’émotion, « les langues dialectales sont plus riches que les langues modernes qui se sont appauvries », explique Jean Becchio qui a piloté avec succès une opération similaire au Kazakhstan. Un dernier petit effort.
Zakaria Choukrallah |