Ils ont commencé par menacer, maintenant ils agissent. Après avoir pesté contre les festivals, promu un art propre et maudit les touristes, certains ministres – et leurs alliés de la coalition étrangement silencieux – sont passés à l’étape supérieure.
Avec la surprenante complicité passive d’une opposition quasi tétanisée. Aujourd’hui, le gouvernement tranche, taxe et censure. Oh, bien sûr, nous n’assistons pas à une attaque frontale contre les valeurs de tolérance ou à une remise en cause brutale des espaces de liberté. La mainmise islamiste sur la société marocaine se révèle plus insidieuse.
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D’abord, l’augmentation vertigineuse de la taxe sur les alcools prévue par la loi de Finances est-elle un premier pas vers une « halalisation » totale du pays ? Elle nous rappelle étrangement une autre proposition de loi, défendue en 2007 par un certain Mustafa Ramid, alors président du groupe PJD au Parlement. Une loi qui visait, en augmentant la TIC, à « rendre très difficile l’accès et la consommation de ces produits pour les musulmans ». En attendant cet avenir radieux, le tourisme sera la principale victime collatérale de cette mesure hygiéniste.
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Dans le même temps, l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, la diffusion des cinq appels à la prière sur une chaîne généraliste et l’arabisation des programmes apparaissent comme autant d’offensives en règle pour moraliser le pays, en s’attaquant à ce qu’il regarde. Emblématique et populiste, le changement d’horaires du journal francophone de 2M est juridiquement irréprochable et stratégiquement cohérent : pour lutter contre Al Jazeera, il faut un prime time concurrentiel. Mais là encore, les dégâts collatéraux sont considérables. Ce journal n’est pas seulement regardé par l’élite francophone de Souissi ou d’Anfa. C’est le symbole d’une société que nous imaginions polyglotte, plurielle et ouverte sur le monde. C’est surtout un lien effectif et affectif avec le pays pour les Marocains d’Europe et leurs enfants. Qui regardera encore Ouadie Dada quand il sera minuit passé à Paris ou Bruxelles ? Les explications de Mustapha El Khalfi dans nos colonnes (voir page 42) ne sont guère convaincantes. Si on déloge ce journal de sa tranche historique, il y a peu de chances qu’il soit diffusé avant minuit.
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Isolément, chaque mesure peut se justifier. Mais leur accumulation est alarmante. Un rocher, c’est un caillou. Dix rochers, c’est une colline. Mais dans cinq ans, nos adeptes de la charia light auront-ils accouché... d’une montagne ?
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Car derrière ce grignotage des libertés se profilent d’autres signaux qui, sans être exprimés, n’en sont pas moins inquiétants. Ainsi, Mustafa Ramid, qui s’empresse de diligenter une enquête après des déclarations de cheikh Hadouchi s’affirmant menacé de mort dans Al Massae. Rien à redire, c’était d’ailleurs une promesse du PJD d’enquêter sur les scandales révélés par la presse. Mais on peut alors s’interroger sur le cas Ezzedine Roussi qui affirme avoir été torturé par la police, et de bien d’autres bavures que actuel, entre autres, a relatées et qui restent étonnamment sans suite. Il y a bien deux poids deux mesures. Et Ramid d’apparaître non pas comme le ministre de la Justice et des Libertés, mais comme celui de la Justice et des salafistes.
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Rappelons-le, ce gouvernement n’a pas été élu pour transformer le Maroc en monarchie islamiste. Mais pour s’attaquer aux vrais problèmes, et d’abord à la pauvreté. On attend, par exemple, de Benkirane qu’il aille à Aarich (voir page 38) rencontrer le peuple qui gagne moins de quelques dizaines de dirhams par jour, et pas seulement les patrons à la CGEM. On attend beaucoup, c’est vrai. Mais on attend d’abord que ce pays avance socialement. Et non pas que l’on nous propose de reculer mentalement.
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