Deux mètres carrés. Ni plus ni moins. Deux mètres carrés, c’est la superficie d’espaces verts par habitant à Casablanca. La norme internationale recommandée par l’OMS est de douze mètres carrés. Les Casablancais étouffent et s’époumonent... mais les espaces verts et les jardins ne représentent pas plus de 1% de la superficie de la ville. Pire, on grignote les surfaces plantées existantes, comme le Parc de la Ligue arabe qui est passé de 32 hectares à 14 en moins d’un siècle. Face à cette catastrophe écologique qui met en péril la santé des habitants, on s’attendrait à ce que les pouvoirs publics réagissent. Il y a certes de maigres enveloppes consacrées à la rénovation des parcs existants. Mais quid des nouveaux projets ? Des quartiers entiers de Casa se sont construits sans un centimètre carré d’espace vert. Pourtant le nouveau plan d’aménagement prévoyait bien que des terrains soient affectés à des parcs et jardins... Alors ?
Alors, il faut lire le dernier rapport de la Cour des comptes pour comprendre. A Sidi Belyout, l’Agence urbaine de Casablanca a accordé des dérogations et des titres fonciers pour bétonner sur des terrains destinés aux parcs et jardins. Une ceinture verte était censée offrir un poumon à la ville : à Sbata, on a construit des bureaux et des villas sur cette surface protégée. Et s’il n’y avait que les espaces verts ! La Cour révèle également qu’à Hay Hassani, des sociétés ont obtenu des dérogations pour construire sur des terrains dévolus à l’édification d’écoles ou de bâtiments publics.
Au total, un projet sur cinq a bénéficié d’une dérogation à Casablanca dans des conditions que les magistrats de la Cour qualifient pudiquement d’ « opaques ». Inutile de faire un dessin. L’Agence urbaine est pointée du doigt dans le rapport. Mais après sa publication (voir notre article page 31-32), d’autres magistrats seraient aujourd’hui bien inspirés de vérifier le patrimoine de certaines personnes.... Ce rapport amène aussi plusieurs réflexions. La période étudiée s’étale de 2005 à 2009. On se souvient qu’entre 2003 et 2006, une incorruptible régnait sur l’Agence urbaine. Et architectes comme promoteurs n’ont pas manqué alors de fustiger l’intègre Fouzia Imansar qui affirmait : « L’Agence ne fait que le travail que lui confère la loi. » Les mauvaises habitudes semblent avoir repris à son départ. Et nous avons eu écho à actuel de quelques accords suspects sur des terrains qui auraient dû rester publics et qui sont pourtant passés chez les bétonneurs. Hélas, sans avoir la possibilité de vérifier puisque les documents sont inaccessibles. Le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique prévue par la nouvelle Constitution nous permettra, on l’espère, de révéler ces affaires avant qu’il ne soit trop tard, et les immeubles, construits. La Cour des comptes est un formidable révélateur... du passé. Quand le rapport est publié, le mal est déjà fait.
Le deuxième enseignement de ces affaires, c’est que notre avenir et celui de nos enfants dépendent de personnes qui s’en moquent éperdument. Après nous, le déluge ! Telle semble être leur devise. Et ce qui se passe à Casablanca est valable pour tout le Royaume. Il ne s’agit même pas toujours de corruption. Le déficit abyssal de nos caisses de retraites (voir notre dossier) en est une illustration exemplaire. En refusant d’affronter le présent, nos responsables hypothèquent notre avenir. Le j’m’en-foutisme ou la lâcheté sont aussi des moteurs puissants pour gâcher notre futur.
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