Pardon, Amina. Pardon pour notre lâcheté, et celle de ceux qui nous gouvernent. Violée à quinze ans, mariée à seize avec ton propre bourreau, au terme d’un arrangement entre vos deux familles et avec l’assentiment d’un juge. Tu n’as pas supporté d’avoir été contrainte à partager le lit de ton violeur, à croiser quotidiennement le regard de celui qui échappait, à l’instant même du mariage, à toute peine pour son forfait ! A vivre, simplement, l’insoutenable.
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Ton geste, cette mort administrée en avalant un poison contre les rats, a ému le monde entier. Et te voici devenue l’icône d’une cause qui dépasse ton innocence. Oui, nous avons été assez lâches pour accepter de vivre avec une législation qui dénie aux jeunes filles et aux femmes leur droit le plus fondamental, celui du respect dû à leur personne. Quelle image avons-nous de la Femme pour contraindre une jeune fille violée à épouser son agresseur pour « sauver son honneur », et avec lui, l’« honneur » de sa famille ?... Mais de quel honneur osons-nous ainsi parler ? Et quelle est cette « Justice » qui exonère le violeur des dix à vingt années de prison que prévoit le code pénal à raison d’un prétendu mariage qui vaudrait réparation ?
Oui, pardon, Amina. Nous avons été assez lâches pour nous accommoder d’une législation et d’un héritage, que l’on voudrait culturel, qui voit des centaines de jeunes filles soumises à l’insupportable pression de leur famille, avec cette complicité active de la puissance publique qui, ce faisant, légalise bel et bien le viol. Ta mort, ô combien symbolique de cette lâcheté silencieuse qui laisse en déshérence des pans entiers de notre bien commun, force le respect. La violence extrême du message réveillera-t-elle les consciences de nos parlementaires et responsables politiques ? Beaucoup de Marocaines et de Marocains, ici et au-delà des frontières, veulent le croire. Ton geste, du moins le souhaitons-nous, ne devra pas rester sans lendemain. La détermination dont tu as fait preuve pour dire non à l’ignominie à laquelle la société t’a condamnée, pour tragique qu’elle soit, a valeur d’exemple. Et nous sommes aujourd’hui nombreux à demander que soit déposé, toutes affaires cessantes, un projet de loi qui impose à tout violeur les peines encourues au titre des articles 485 et 486 du code pénal, et qu’ainsi, il ne puisse s’exonérer de toute condamnation en se mariant avec sa victime.
Ton exemple inspirera peut-être aussi nos parlementaires pour qu’ils s’interrogent enfin sur l’anachronisme de notre législation, autant que de nos pesanteurs culturelles, au regard de notre engagement – récemment confirmé avec l’adoption de la nouvelle Constitution – à l’égard de l’égalité de l’homme et de la femme.
Ta mort, si injustement ressentie par tes sœurs marocaines qui multiplient les messages d’indignation, doit nous arracher à notre indifférence. La « loi Amina » doit permettre, demain, de te rendre justice. A toi, et à toutes celles que notre société préfère ignorer depuis trop longtemps. Quel respect aurions-nous de nous-mêmes, nous, si prompts à célébrer la Journée de la Femme, si notre lâcheté à ton égard devait perdurer ?
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