Ca ressemble à un méchant chewing-gum, longtemps mâché et remâché par une Marine Le Pen en quête d’un nouveau souffle – « 100% de la viande distribuée en Ile-de-France est de la viande halal, et c’est un véritable scandale » – et jeté, là , sur le chemin de la course à l’Elysée. Un méchant chewing-gum aussitôt écrasé par un Nicolas Sarkozy, bien en peine de s’en débarrasser au point de s’en accommoder.
« Le premier sujet de préoccupation et de discussion des Français, je parle sous votre contrôle, c’est cette question de la viande halal », avant de s’essuyer les pieds sur François Fillon pour qui, soudain, « les religions devraient réfléchir aux traditions ancestrales qu’elles appliquent ». Un Premier ministre donc pour qui « l’abattage halal et casher sont des traditions qui ne correspondent plus à grand-chose aujourd’hui ». Voilà comment la campagne pour l’élection présidentielle française élève le débat depuis trois semaines. Sur la route qui mène à l’Elysée, pas un candidat qui n’ait échappé à ce chewing-gum bien encombrant. A droite, seul Alain Juppé a su l’esquiver en estimant que la question de la viande halal était « un faux problème ».
Bien vu, monsieur le Premier ministre ! Que ne le dites-vous au président sortant ?... Mais qu’y a-t-il de mieux qu’un « faux problème » clivant une société en désarroi pour éluder les « vrais » problèmes auxquels les Français, dans leur grande majorité, se trouvent chaque jour un peu plus confrontés ? Du halal à toutes ces civilisations « qui ne se valent pas », cela finit par faire beaucoup de chewing-gums sous les semelles des ténors de la droite et de la droite extrême. A les voir ériger le halal au rang de « première priorité » des Français, on comprend mieux pourquoi ces mêmes Français ne trouvent pas, majoritairement, cette campagne « intéressante ». Et se disent volontiers affligés par le niveau d’un débat qui les prive de perspectives sur les questions de l’emploi, du pouvoir d’achat, du logement, de l’éducation, de la lutte contre la précarité... Autant de priorités qui devancent pourtant largement dans les sondages d’opinion – j’écris sous votre contrôle, Monsieur le président – la question du halal.
L’irruption des religions dans la dernière ligne droite de cette campagne présidentielle, dans un pays où le chef de l’Etat est le garant d’une laïcité censée nourrir le « vivre ensemble », ne manque pas de surprendre. Et la stigmatisation des communautés musulmane ou juive, qui ont tôt fait de dénoncer des déclarations « stupéfiantes » conduisant à une politique du « bouc émissaire », dessert assurément ses auteurs.
L’offre halal mérite un tout autre débat. Au demeurant, elle ne semble guère offusquer ces millions de touristes européens, dont près d’un demi-million de Français qui, chaque année, découvrent et apprécient la gastronomie marocaine, pour ne citer qu’elle. A la vérité, la montée en puissance du halal en France ne résulte pas d’une prétendue « islamisation » de la France mais bien d’une simple logique de rentabilité dans un environnement économique et concurrentiel exacerbé. Les chiffres concernant l’abattage des bovins, ovins et autres volailles, selon telle ou telle pratique, étant pour le moins contradictoires, on observera simplement que le combat de la rentabilité économique entre éleveurs, abatteurs et distributeurs contraint ces différents acteurs à éviter une traçabilité (sur le mode d’abattage, et non sur la qualité de la viande) aux effets inflationnistes majeurs. Pour autant, l’opacité actuelle nourrit tous les fantasmes. Or, les rayons de la grande distribution font désormais une place croissante aux produits halal, un marché estimé en France à plus de cinq milliards d’euros. Cette « segmentation » économique doit-elle nourrir une « discrimination » sociétale ? Ce débat-là , qui mérite certes une plus grande transparence, n’aurait jamais dû quitter le terrain consumériste.
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