Nous ne sommes pas une exception. Allez à Istambul, il y a cinq lycées français dont certains sont tenus par des jésuites. Le Lycée Descartes turc s’appelle Galatasaray, la voie royale pour intégrer la prestigieuse université francophone éponyme. Le réseau des anciens est si soudé qu’en Turquie, on parle de « ma?a Galatasaray ». Cette élite est liée à la frange laïque turque et ses membres occupent en général des postes importants.
Et pourtant, la Turquie n’a jamais connu d’occupation française... Alors que le modèle scolaire dans l’Hexagone est en pleine décon?ture, l’enseignement français s’exporte bien. À Rome, le lycée Chateaubriand est considéré comme le meilleur en ville. Aux États-Unis, les membres de l’upper class trouvent d’un chic consommé que leurs enfants maîtrisent la langue de Molière et les inscrivent dans les écoles françaises. Nous ne sommes pas une exception. Dans tous les pays du monde, les membres de l’élite cherchent à inscrire leurs enfants dans des écoles étrangères.
C’est un gage d’ouverture et le moyen de se constituer précocement un copieux carnet d’adresses. Nous ne sommes pas une exception… mais nous sommes exceptionnellement dépendants d’un système qui vieillit mal. Les établissements des missions n’avaient pas pour unique vocation la reproduction de l’élite, mais contribuaient aussi à son renouvellement.
La mixité sociale qui prévalait en leur sein lorsque Marocains et Européens, toutes origines confondues, étudiaient ensemble s’est transformée en ghetto doré d’une jeunesse con?née dans un environnement extraterritorial. Entre Lyautey et le CAF, nos ados bien nés vivent immergés dans un univers clos de clones programmés pour devenir ingénieurs. Méprisés - quand ils sont véhiculés par un chauffeur – par des profs imprégnés de la culture syndicaliste à la française, moqués par leurs compatriotes pour leur accent de Françaoui quand ils baragouinent la darija… nombreux sont ceux qui ?nissent par détester leur pays de naissance. Leur vie, ils l’imaginent déjà ailleurs, sur une autre rive ou un autre continent.
Les écoles prévues à l’origine pour les rejetons des expats ?nissent par fabriquer des déracinés. Faut-il pour autant éradiquer ce système ? Nullement car nous avons la chance de pro?ter d’une certaine excellence française, espagnole, italienne ou américaine. Mais il faudrait, en attendant que notre propre système scolaire soit capable de générer son élite, favoriser les passerelles.
Au Maroc, le destin se joue avant trois ans, lors d’examens ahurissants qui transforment nos enfants en bête à concours à la japonaise. Il n’y a pas de seconde chance pour les exclus. Il y a surtout peu de possibilités pour les surdoués du système marocain d’intégrer les ?lières de l’élite et la « ma?a des missionnaires ». Il y a bien des concours de la Sixième à la Seconde (quand il y reste des places) mais l’absence de bourses empêche de facto les meilleurs éléments de notre pays de rejoindre les meilleures écoles.
Quel gâchis ! En France, les lycées parisiens les plus cotés pratiquent depuis des années, avec succès, des conventions avec les établissements de villes défavorisées, pour accueillir les meilleurs élèves des banlieues dans leurs classes prépa. Aux États-Unis, malgré ses défauts, le système de quotas a permis à la population noire de s’arrimer au rêve américain. Au Maroc, peut-être, aurions-nous besoin de pratiquer aussi une discrimination positive envers nos propres enfants...
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