Il n’aura pas fallu cent jours. Deux mois auront suffi pour que les masques s’effritent et que les barbes mangent les sourires de façade. On ne rigole plus ! Benkirane le jovial, toujours à l’affût d’une bonne blague pour détendre le roi comme le bon peuple, redevient à vitesse grand V l’islamiste rigoureux qu’il n’a vraisemblablement jamais cessé d’être. Après avoir fustigé la presse – celle qui n’est pas aux ordres –, le chef du « gouvernement à une femme » s’en est pris aux « laïcs qui se sont alliés à Satan » avec un vocabulaire et une véhémence qui laissent pantois.
Il n’aura pas fallu cent jours pour que nous redevenions le pays de la censure. Un sein qui dépasse, une parole déplacée, un prophète dessiné (par des musulmans, rappelons-le)… hop, à la trappe. L’ordre moral est de retour, ridicule comme d’habitude car chaque censure attire l’attention sur l’objet interdit, déclenche un buzz d’enfer sur le web et nous attire une image désastreuse à l’international.
Il n’aura donc pas fallu cent jours pour que les partisans de l’ordre moral tombent les masques. La sortie de Lahbib Choubani, dont le ministère a en charge les relations avec le Parlement et la société civile – ce qui est somme toute assez éloigné de la programmation d’un festival –, relève bien en revanche d’un… festival de populisme quand il déclare : « Est-il compatible avec la bonne gouvernance qu’un festival financé par des deniers publics soit organisé alors que des diplômés sont au chômage et que des régions enclavées n’ont même pas de quoi se chauffer ? »
Ce type d’argument, venant d’un homme qui nous avait habitués à des rhétoriques plus subtiles, est des plus spécieux. Aziz Daki, le directeur artistique du festival, a eu beau jeu de rappeler que de subventions publiques il n’y avait plus, et que l’Etat ne contribuait qu’à hauteur de 6% pour un show qui profite à plus de deux millions de Marocains.
Ainsi, Choubani, aujourd’hui membre d’un gouvernement à majorité PJD, réactive le combat hier mené par les islamistes à l’encontre d’Elton John ou de Shakira. Et nourrit les diatribes entendues jusqu’à Tétouan où Amine Boukhobza, élu municipal PJD, s’est exclamé mercredi : « Que Dieu maudisse la mairie qui finance un festival de prostituées ! »
Autant de sorties qui surviennent en pleine offensive du MUR pour la promotion d’un « art propre ». Un art propre ? Quelle mascarade ! L’art n’est pas « propre », il est libre ou il n’est pas.
En plaçant le débat sur ce thème, le PJD choisit un camp terrifiant. Celui que l’Histoire nous rappelle, avec ces chantres d’un art officiel et pur : des talibans qui ont détruit les statues de Bâmiyân aux nazis qui ont fait la distinction entre l’art « dégénéré » et l’art « aryen héroïque », jusqu’à ces staliniens au « réalisme socialiste »… Des chantres qui ont fait le choix de tuer l’art au profit d’une propagande, au service d’une idéologie.
Nos islamistes vivent en réalité sur la même planète que Ennahda. Mais devons-nous nous inspirer de la politique culturelle d’un pays qui interdit aux chanteuses libanaises trop sexy de se produire au festival de Carthage ? Devons-nous calquer cette Tunisie qui emprisonne des journalistes pour avoir publié des photos à peine dénudées, mais qui invite des prédicateurs salafistes prêchant que l’excision des petites filles, c’est de la chirurgie esthétique !
Ce n’est pas pour ça que les Tunisiens ont voté pour Ennahda. Et ce n’est pas pour transformer le Royaume en Etat islamique que les Marocains ont voté PJD.
Relisez votre programme, Messieurs les ministres ! Les références religieuses y sont infinitésimales. Nous vous avons élus pour lutter contre la corruption, réduire les inégalités sociales et améliorer la situation de l’emploi. Est-ce parce que vous montrez là quelque faiblesse que vous vous recentrez sur vos vieux démons ?
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