Nous avions un projet de loi de Finances, préparé par l’équipe de Abbas El Fassi, mais pas (encore) de gouvernement. Nous avons désormais un gouvernement, mais toujours pas de projet de loi de Finances ! Le Maroc ne revendique donc pas seulement son « exception ». Il l’assume pleinement, en clôturant la session parlementaire de la Chambre des représentants, quand l’urgence commanderait de siéger non stop pour doter, sans tarder, le pays du principal outil sur lequel s’appuie tout gouvernement soucieux d’une bonne gouvernance : un budget !
Dans sa quête d’exception, le Maroc de Abdelilah Benkirane s’exonère ainsi assez légèrement de l’ardente obligation, qui devrait être la sienne, d’engager sans tarder toutes les parties prenantes à la discussion et à l’adoption de la loi de Finances. Ne pas disposer de cette incontournable boussole avant de très longues semaines, c’est prendre le risque de dérapages incontrôlés, car incontrôlables. Ou de rester trop longtemps figé sur des postures budgétaires en contradiction avec les promesses de réformes amplement évoquées par la nouvelle majorité.
A l’heure où chacun continue de s’interroger sur les véritables intentions réformistes du gouvernement, et singulièrement sur le chantier – souvent évoqué, jamais engagé par ses prédécesseurs – de la Caisse de compensation, l’entretien accordé cette semaine à actuel par Mohamed Najib Boulif, le tout nouveau ministre (PJD) des Affaires générales et de la Gouvernance, a le mérite d’éclairer les contribuables que nous sommes sur ce qui nous attend.
Sous un faux air de lord irlandais, Boulif est avant tout un économiste, formé à l’Université de Fès, puis à Paris II, venu à la politique pour mettre ses idées, sa formation et ses convictions, au service de ses concitoyens. A le lire, sans langue de bois, on serait presque impatient de voir les résultats de la politique qu’il souhaite mettre en œuvre.
C’est à une petite révolution fiscale qu’appelle le successeur de Nizar Baraka. Particuliers, entreprises, automobilistes, institutions ou offices : tous, nous serons tous amenés à passer à la caisse. Et comme nul ne pourra opposer au ministre l’impérieuse nécessité d’une réforme de la Caisse de compensation, la potion pourrait s’avérer singulièrement amère.
La crise, qui plombe le budget de cette Caisse qui voit exploser, année après année, ses besoins en financement – plus de 90  milliards de dirhams entre 2007 et 2010 ; la crise, qui renforce les inégalités sociales ; la crise, qui incite à masquer ici la réalité des faits et des chiffres ; la crise, qui voit se raréfier la manne des investissements et subventions en provenance d’une Europe au bord de l’asphyxie ; cette crise permettra-t-elle au gouvernement toutes les audaces ?
Boulif veut le croire qui entend augmenter les vignettes automobiles, taxer davantage les produits dits de luxe, relever la taxe de l’audiovisuel, réformer les caisses de solidarité, faire jouer la péréquation entre régions riches et régions pauvres, revoir les subventions accordées sans contrôle réel à certains offices… Et ouvrir grandes les portes aux investissements en provenance des pays du Golfe, grâce à l’arrivée de réels produits alternatifs sur fond de finance islamique.
Le prix à payer pour tenir le pari de 5% de croissance, dès cette année, et d’une réduction du déficit budgétaire ? Les pairs de Boulif, économistes du FMI ou de l’OCDE, se montrent plutôt sceptiques. Et la rue, impatiente…
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