| L’invective est un sport national, et si l’injure était une discipline olympique, les Marocains reviendraient chargés de breloques tous les quatre ans. Pourtant, personne n’aime se faire insulter. L’injure est une atteinte à la dignité et mérite d’être réprimée. 
 On ne peut utiliser impunĂ©ment l’arme nuclĂ©aire de la rhĂ©torique, et de nombreux pays pĂ©nalisent cette agression verbale gratuite et blessante.  L’apprentissage de la dĂ©mocratie et, surtout, la libĂ©ration de la parole que le pays connaĂ®t depuis maintenant un an ont eu comme effet pervers d’encourager une certaine anarchie. On se laisse aller sans retenue, les ambulants s’étalent sur la voix publique, les automobilistes Ă  peine troublĂ©s par un nouveau code roulent encore plus vite qu’avant et, sur le web, on se lâche sans limites en menaçant son prochain des pires ignominies. On se targue d’insolence, mais on sombre dans la vulgaritĂ© et, comme on ne comprend rien, on mĂ©lange tout. Des baltajis dont le quotient intellectuel est proche de celui de l’amibe scissipare – mais n’insultons pas les amibes – à ce rappeur antisĂ©mite de Casablanca qui se glorifie de vouloir Ă©gorger des juifs, on assiste depuis un an Ă  un dĂ©ferlement d’attaques verbales affligeantes. Or la libertĂ©, ce n’est pas Ă©taler son mĂ©pris de l’autre en l’écrasant de sa morgue ou de sa bĂŞtise, ce qui revient souvent au mĂŞme. La libertĂ©, c’est exprimer sa pensĂ©e en respectant celle des autres. Et en respectant les autres tout court. Cette libertĂ©, on en use aujourd’hui pour s’attaquer au roi. Certains argumentent en dĂ©fendant un rĂ©gime parlementaire, et ils en ont tout Ă  fait le droit. D’autres franchissent allĂ©grement les limites et insultent la personne et ce qu’elle reprĂ©sente. Or s’il est grave d’insulter un homme, il est encore plus grave d’outrager un symbole. Le roi n’est pas seulement un chef d’Etat et le commandeur des croyants, c’est aussi le garant de notre unicitĂ©. Injurier ce qu’il incarne, c’est miner les fondements mĂŞme de ce pays. Pour autant, la Constitution a changĂ© et l’époque ne devrait plus ĂŞtre Ă  la rĂ©pression sans discernement. Condamner Ă  trois ans de prison un jeune de Taza qui profère des injures au roi, c’est dĂ©passer d’autres limites. Le jeune Haydour a reconnu lui-mĂŞme les faits, en expliquant qu’il avait dĂ©rapĂ© sous le coup de l’émotion. Mais faute avouĂ©e n’est plus Ă  moitiĂ© pardonnĂ©e et le verdict est d’une sĂ©vĂ©ritĂ© inouĂŻe. On peut toujours arguer que si la Constitution a supprimĂ© la sacralitĂ© du roi, le code pĂ©nal en revanche n’a pas encore Ă©tĂ© modifiĂ©. On peut se rĂ©fugier derrière la promulgation lointaine de lois organiques pour continuer Ă  raisonner comme si le Maroc n’avait pas dĂ©cidĂ©, Ă  98%, qu’il fallait changer d’époque. Il y a la loi et l’esprit des lois. L’esprit de la nouvelle Constitution, c’est d’aligner la rĂ©pression de l’insulte au chef de l’Etat sur ce qui existe dans la plupart des monarchies dĂ©mocratiques. L’insulte n’y est pas tolĂ©rĂ©e mais les peines privatives de libertĂ© sont exclues ou jamais appliquĂ©es. Si nous sommes censĂ©s devenir un peuple adulte, c’est Ă  cette aune que nous devons nous mesurer. Les excès de zèle de certains reprĂ©sentants de l’Etat ne sont pas seulement la perpĂ©tuation de vieux rĂ©flexes, des ballons d’essai rĂ©pressifs ou des châtiments pour l’exemple. Ils sont d’abord, pour notre intelligence, une insulte... actuel |