Deux cent quatre-vingt-quatorze. Ils seraient deux cent quatre-vingt-quatorze enfants, mineurs, abandonnés et livrés à eux-mêmes dans les rues de Casablanca. Aucun d’eux n’a encore eu l’idée de s’asperger d’essence et de s’immoler sur la voie publique, à Massira El Khadra ou sur la Corniche, à deux ou trois heures du matin, heures de tous les dangers, de toutes les rencontres, de toutes les détresses.
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Pour autant, c’est bien toute une partie de la jeunesse – à Casa, mais aussi au cœur de bien d’autres villes du Royaume – qui se consume à petit feu dans une quasi-indifférence généralisée.
Vous l’ignoriez ? ça se passe là , à deux pas de chez vous. A deux blocs d’immeubles de votre domicile, derrière le restaurant que vous fréquentez, sur les trottoirs chic de vos enseignes préférées. Chic le jour, glauques au cœur de la nuit, à l’heure des prédateurs qui circulent en toute impunité.
Deux cent quatre-vingt-quatorze ? « La belle affaire ! », direz-vous. Seulement voilà , ces trois centaines-là ne sont que la partie visible, officiellement recensée, d’une population en détresse autrement plus importante.
Exclus du milieu familial, éjectés du système scolaire, en perte flagrante de repères, abandonnés de tous – exception faite d’un Samu social aux moyens limités et de quelques associatifs...
Que savons-nous de ces fantômes qui errent à la nuit tombée dans les décors abandonnés d’une capitale économique qui a, depuis longtemps, fermé les yeux sur ses propres turpitudes ?
Toutes les grandes villes du monde génèrent leurs enfants perdus. Et Casablanca ne saurait y échapper. Mais toutes les grandes villes du monde ne les abandonnent pas à leur triste sort. Quand des mineurs squattent une villa, au milieu des immondices, depuis des années, à proximité d’un commissariat de police, il n’est pas illégitime de s’interroger – exemple parmi d’autres – sur l’action, ou l’inaction, des pouvoirs publics.
Et encore plus d’une police plus prompte à interpeller de jeunes couples paisibles, en quête d’un improbable « certificat de mariage », qu’à venir en aide à ces petites mendiantes de six ou huit ans qui quémandent à une heure du matin à proximité d’un grand carrefour, ou à ces mineur(e)s à la merci quotidienne de quelques pervers patentés.
Nous avons aujourd’hui au gouvernement une femme. Une seule femme, à qui a été confié le « ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social ». Un ministère hautement « protecteur ».
Famille et développement social : deux concepts à des années-lumière du quotidien de ces milliers d’enfants abandonnés à cet envers du décor d’un Maroc engagé sur la voie de la modernité.
On aimerait que notre nouvelle ministre qui, hier, proclamait son attachement à la polygamie et au mariage des mineures, engage aujourd’hui résolument son action et ses services en faveur de ces enfants et mineurs écartés de toute « famille » et tenus à distance de tout « développement social ».
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