C’est une histoire de fous. Les 800 habitants du douar de « Khadak Rihane » ne savent plus où ils habitent. Ce village du Rif est partagé par un ruisseau (d’où le nom) qui délimite deux communes : Bab Berred et Sahbet Malha.
Depuis plus de quinze ans, les habitants du douar réclament l’électricité. Et les deux communes se défaussent et se renvoient l’une, l’autre, la balle. Personne ne veut payer et le douar qui ne dépend de personne reste à l’écart du monde.
Car il n’y a pas que l’électricité qui fait défaut ici. Il n’y a pas d’école non plus à Khadak Rihane. Les enfants doivent parcourir cinq kilomètres pour rejoindre le premier établissement. Sauf l’hiver quand la piste, construite par les habitants eux-mêmes, devient impraticable et que l’oued déborde à cause des pluies.
Pour Abdellah Eljout, élu communal à Bab Berred et qui défend ces exclus, « les habitants ne demandent qu’une seule chose : être traités comme tous les douars voisins, c’est-à -dire, avoir le courant électrique, l’école pour les enfants, et une route praticable pour sortir de l’isolement ; ils se moquent de la géographie et encore plus de la logique administrative qui les exclut ».
Comment en est-on arrivé là  ? Si ce douar est enclavé, ce n’est pas par hasard. Tous ses habitants sont noirs, descendants d’esclaves de la région de Chefchaouen. On les a exilés ici, loin des regards... et aujourd’hui de la modernité.
Cette histoire kafkaïenne est exemplaire. Voilà un douar, héritage honteux de notre passé esclavagiste, soumis à un imbroglio administratif légué par le protectorat. Le Maroc utile et inutile trouve ici son expression la plus absurde.
Mais de nombreuses zones de montagne subissent les mêmes discriminations. Dans ce qu’on appelle les zones pastorales marocaines, le taux de mortalité maternelle avoisine les 270 décès pour mille accouchements : 30 fois plus qu’en Europe !
Le Maroc des autoroutes et du TGV, le pays du Morocco Mall et des tapis rouges de Marrakech, le royaume du Casa Finance City et du Twin Center a la tĂŞte dans le futur et les pieds dans la fange.
Quand nous vivons au XXIe siècle, d’autres croupissent au moyen-âge. Alors que nous nous enivrons de modernité, nous avons tendance à oublier cette pesanteur. Au regard de ce scandale permanent qui ne nous émeut pas plus qu’un documentaire animalier, la frénétique course aux maroquins que nous ont donné à voir les partis cette semaine apparaît d’autant plus pitoyable.
Il n’y aura probablement pas de ministre d’Aménagement du territoire dans le premier gouvernement Benkirane et c’est dommage. Redessiner notre pays, pour redonner une chance à ceux qui ne vivent pas au même siècle que nous, devrait être une priorité transversale.
Le ministre qui héritera du développement rural sait en tout cas le chantier qui l’attend.
On peut déjà lui suggérer une première visite sur le terrain. Il lui faudra louer un 4x4 et prévoir la journée.
Il pourrait d’ailleurs partager les frais avec ses collègues en charge de l’Energie, de l’Education et de l’Equipement. Une visite au douar des Noirs serait une bonne introduction pour mesurer l’ampleur de la tâche qui les attend et voir un résumé du pays que nous ne voulons plus.
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