La victoire du Parti de la justice et du développement (PJD) est nette. Et ne saurait être contestée tant l’ombre portée du parti de la Lampe s’étend désormais sur la quasi-totalité des circonscriptions, en milieu urbain comme en milieu rural.
Permettra-t-elle pour autant cette réconciliation tant attendue des citoyens marocains avec la politique et ses principaux acteurs ? Pour l’heure, les ténors du parti sont sur un petit nuage. Courtisés, sollicités, voire… harcelés par tout ce que le pays compte de cercles politiques, économiques ou médiatiques, les leaders du PJD affichent la joyeuse sérénité des vainqueurs à qui tout semble possible.
Plusieurs éléments pourraient toutefois tempérer rapidement l’euphorie ambiante. Passé la juste fierté d’avoir emporté ce premier rendez-vous électoral, le PJD pourrait révéler une quadruple fragilité.
Abdelilah Benkirane est trop fin politique pour oublier que sa victoire est moins celle d’une adhésion massive des Marocains aux idées par lui développées que d’une sanction à l’égard de formations politiques qui n’ont pas su répondre aux attentes légitimes de la population. Les 45% de participation enregistrés ne résistent pas à l’analyse.
Comment se réjouir d’une consultation électorale, annoncée comme celle de la réconciliation du peuple marocain avec la démocratie, qui voit s’exprimer moins de la moitié des électeurs inscrits et, pire encore, à peine plus du quart de la population en âge de voter ? A cette aune-là , les déclarations de certaines de nos excellences au soir du scrutin tiennent d’un pathétique aveuglement.
Mais là n’est pas, n’est plus, l’essentiel. Vainqueur, le PJD se voit dans l’obligation de composer. C’est là la première faiblesse. Qui dit coalition, dit compromis. Et la nature de la prochaine alliance gouvernementale, avec un PI appelé à avaler bien des couleuvres, avec ou sans une USFP divisée et quelques apparatchiks établis de la Koutla, attirés par la lumière des ors ministériels, pourrait se révéler plus fragile qu’escomptée à l’épreuve du pouvoir.
Le nouveau chef du gouvernement sait également devoir composer avec une nouvelle Constitution qui voit le roi conserver nombre de ses prérogatives, et la haute main sur les fondamentaux de la société marocaine.
Le curseur des rapports entre la primature et le Palais constitue bien un autre élément de fragilité. Certes, Benkirane a déjà annoncé la couleur. Lui et ses amis pourraient renoncer à l’exercice du pouvoir à tout moment. Est-ce là le signe d’une maturité politique ?
A la manœuvre depuis des années pour conquérir l’opinion publique, le PJD en a presque oublié de préparer les conditions de l’alternance, en formant notamment ses cadres à l’exercice du pouvoir.
Comme si seule la victoire comptait. Les observateurs de la vie politique sont impuissants aujourd’hui à faire valoir la légitimité de tel ou tel de ses membres pour l’accession aux ministères revendiqués par le PJD.
Les meilleurs enseignants ou idéologues ne font pas forcément les meilleurs ministres. L’apprentissage du pouvoir ne sera pas chose aisée quand il faudra affronter l’opposition et plus encore, répondre à l’impatience de la rue.
L’état de grâce, inhérent à toute alternance, pourrait d’ailleurs se trouver fragilisé par l’empressement d’une base militante à voir se concrétiser sans délai la panoplie des promesses de campagne.
Si l’amélioration du pouvoir d’achat et la résorption des inégalités devaient se faire attendre ; si la gangrène de la corruption et l’injustice sociale devaient perdurer, il n’est pas sûr que la déception des électeurs les plus zélés puisse être longtemps contenue. Justice et développement devront rapidement dépasser le stade de l’incantation.
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