L’onde de choc ne s’est pas encore estompée. En annonçant, le 23 octobre dernier, « l’adoption de la charia comme loi essentielle », et en citant pour premiers exemples la fin du divorce et le retour de la polygamie, Moustafa Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT), a jeté un froid dans toutes les chancelleries occidentales.
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Celles-là mêmes qui s’étaient associées au cœur de la coalition internationale engagée aux côtés des rebelles libyens dans leur combat pour le renversement du régime de Mouammar Kadhafi. « Nous avons des lignes rouges : l’alternance politique, les droits de l’homme, l’égalité hommes-femmes (…) La polygamie n’est pas la conception que nous nous faisons de la dignité de la femme », a aussitôt réagi, à Paris, Alain Juppé.
Une déclaration destinée à la sensibilité exacerbée d’un électorat français à l’égard de la charia, mère de tous les fantasmes ? Le ministre des Affaires étrangères est trop fin politique pour ignorer qu’en cela, la Libye ne fait que rejoindre la quasi-totalité des pays arabes qui ont placé la charia au cœur de leur Constitution.
Soit qu’elle y est précisément inscrite, soit plus largement qu’elle en inspire l’essentiel des chapitres et articles. La quasi-concomitance de la déclaration du leader du CNT et des résultats des élections tunisiennes, qui voient émerger la prééminence des islamistes d’Ennahda, peut troubler une opinion occidentale trop encline à confondre islam et islamistes.
Ce n’est d’ailleurs pas tant l’instauration de la loi islamiste, en vigueur dans la plupart des pays arabes, qui pose question que les conditions qui prévalent à son exercice. Et de ce point de vue, la Tunisie et la Libye ne sont pas, aujourd’hui du moins, à mettre sur le même plan.
La Tunisie s’est engagée dans un processus démocratique avec l’élection d’une assemblée constituante. Cette assemblée, qui a aujourd’hui toute légitimité, dira ce qui lui semble bon pour l’avenir de la Tunisie au lendemain d’une ère Ben Ali qui, sous couvert d’une modernité en trompe-l’œil, aura maintenu sous le joug une population privée des libertés les plus essentielles.
Quant à la Libye, précisément, c’est à son peuple et non au seul président du Conseil national de transition de dire, demain par la voix des urnes, s’il est favorable à l’instauration de la charia.
La liberté chèrement conquise, par des populations trop longtemps maintenues sous le joug de régimes autoritaires, ne saurait être soumise à d’autres limites que celles issues des urnes. La démocratie ne se divise pas.
Pas plus qu’elle ne souffre de limites. Le choix du peuple exprimé librement, et en toute transparence, est souverain. Il peut plaire ou non, mais il s’impose à tous. Il est d’ailleurs piquant de voir aujourd’hui s’inquiéter quelques voix occidentales autorisées sur des « lignes rouges » autrement bafouées dans certains pays du Proche et Moyen-Orient, mais avec lesquels les liens économiques et commerciaux – qu’il s’agisse de vente de rafales ou de TGV par exemple – n’ont jamais été remis en cause. Ni même les chefs de ces Etats ou royaumes invités publiquement à mettre fin à l’application de la charia.
Entre ceux qui ne voit dans la charia qu’un code divin, et en font une interprétation littérale, et ceux qui estiment qu’il s’agit d’une « voie » qu’il convient de construire patiemment, avec un esprit critique, le débat est d’une singulière actualité. C’est peu dire qu’il est appelé à vivre, dans l’expression démocratique, pour éviter toute instrumentalisation aussi inutile que dangereuse.
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