Quel dommage et quel gâchis. Le 19 septembre, Omar Balafrej a mis en ligne un article sur sa page Facebook annonçant qu’il renonçait à se présenter aux élections législatives. Balafrej, c’est une des consciences de la gauche marocaine, un social démocrate authentique.
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Pourtant, ce « grand frère » du Mouvement du 20 février affirme dans sa lettre à ses amis politiques qu’« on ne peut pas se limiter à proclamer des idées. Il faut s’engager, militer, faire campagne... » Et donc se présenter aux élections. Mais il y renonce. Car, écrit-il, « le jeu politique est totalement fermé ».
Au même moment, le PSU annonçait qu’il boycotterait les élections. Ce parti avait participé au précédent scrutin, sous une Constitution qui, reconnaissent même ses détracteurs, était moins avancée que l’actuelle.
Les arguments des boycotteurs sont sans surprise, ils reprochent en vrac « le manque de transparence » et un ministère de l’Intérieur au « lourd passé de fraudes et de trucage des élections ».
Pourtant, jamais aucune élection au Maroc n’aura été aussi transparente. Le vote se déroulera sous l’œil d’observateurs étrangers comme d’ONG locales. Quant au ministère de l’Intérieur, on peut toujours lui faire des procès d’intention ; mais jusqu’à maintenant, on ne peut nier le fait qu’il a pris les devants pour éradiquer les plus corrompus parmi les sortants, et faire valser les représentants des autorités locales quelques semaines avant le scrutin afin d’éviter qu’ils prennent attache.
Derrière le discours convenu, il y a d’autres raisons plus politiciennes. En esquivant les urnes, le PSU évite de se compter. Mais il pourra se féliciter d’un taux d’abstention auquel il aura participé... et c’est le meilleur moyen pour contester un Parlement dont la légitimité tient d’abord au nombre de votants.
C’est de bonne guerre. Et en même temps, c’est désastreux. Car en ne participant pas au scrutin, le PSU et des personnalités comme Omar Balafrej rendent aussi orphelins les sympathisants du 20-Février qui pensent que la politique ne se limite pas à des sorties dominicales et que le débat ne se réduit pas aux slogans.
Le boycott, c’est surtout laisser le champ libre à ceux qui restent. C’est accroître les chances d’une victoire d’un pôle PJD-Istiqlal ou de l’alliance libérale (RNI-PAM-UC-MP) qui sont aux antipodes de ce que défendent les boycotteurs.
Quant à la gauche... les députés les plus compétents comme Khalid El Hariri ne se représentent pas. Et on imagine mal un vingtfévrieriste accorder sa voix au parti de Abdelwahed Radi ou à celui de Khalid Naciri. Alors que le PSU séduisait...
Le boycott, c’est la politique du pire. Avec quel but ? Que les manifs grossissent ? Malgré les sorties régulières dans les quartiers populaires, le 20-Février fait du surplace. Certes, on peut toujours tabler sur la déception que le nouveau gouvernement ne manquera pas de susciter. Et espérer que les manifs se transforment en émeutes. La politique du pire, encore...
Le paradoxe, c’est que ce qui pourrait maintenant arriver de mieux à la gauche, c’est de perdre ces élections et surtout d’en accepter les conséquences : en renouvelant ses élites et en ne diluant pas ses valeurs dans une koutla qui a fait son temps. La démocratie, c’est d’abord l’affrontement d’idées, pas le consensus mou.
On peut regretter que ceux qui réclament à cor et à cri la démocratie refusent de la pratiquer et de la mettre à l’épreuve. On peut aussi souhaiter que ce scrutin redéfinisse des lignes de partage claires entre les islamo-conservateurs, les libéraux et une gauche régénérée. La politique du pire accoucherait alors du meilleur.
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