Bruxelles - Rabat - Riyad. Tirez un trait entre ces trois capitales, et vous aurez sous vos yeux le théâtre où se joue une pièce qui ne laissera aucun spectateur (entendez aucun Etat) indifférent. A Bruxelles, l’Union européenne entend conserver et développer les relations privilégiées établies de longue date avec le Royaume et confortées dans le cadre du « statut avancé ».
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A Riyad, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) fait depuis quatre mois les yeux doux à la diplomatie marocaine pour qu’elle rejoigne, avec la Jordanie, le club des monarchies de la région qui réunit, depuis 1981, autour de la très puissante Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar.
Un cercle très fermé dont le PIB s’élève à quelque 900 milliards de dollars et la puissance de feu des fonds souverains à 1 500 milliards de dollars. A Rabat, si l’on se montre satisfait d’être ainsi courtisé, on n’entend pas se précipiter.
Certes, alors que Paris et Bruxelles poussent le G8 à apporter une aide de 80 milliards de dollars pour soutenir les réformes engagées au sein de quatre pays arabes (Tunisie, Egypte, Jordanie et Maroc), Riyad et le CCG viennent de proposer de démultiplier les investissements au bénéfice de ses deux nouveaux membres potentiels.
Passons sur les formules diplomatiques de circonstance échangées de part et d’autre pour aller à l’essentiel. Qu’elle vienne de l’Union européenne et du G8, ou du Conseil de coopération du Golfe, l’attention ainsi portée est éminemment politique.
Pour Paris et Bruxelles, le Maroc est un allié de poids, et de choix – en raison de sa stabilité – au cœur d’un monde arabe (ou arabo-musulman) en proie à bien des turbulences. Pour Riyad, l’intégration du Maroc au sein du CCG ne constitue pas réellement un enjeu économique, au demeurant assez faible, mais elle scellerait une coopération politique, voire militaire et sécuritaire, au moment même où les risques de tension avec l’Iran pèsent sur l’avenir de la région.
La question est toutefois posée de savoir si le Maroc peut, sans risque, prétendre développer des relations de solidarité aussi étroites tout à la fois avec l’Union européenne et les monarchies du Golfe.
Les valeurs partagées ici et là , sur le plan des institutions démocratiques, du développement économique et social, et des questions sociétales, ne sont clairement pas de même nature.
La géopolitique peut avoir ses raisons, et rien n’empêche le développement d’une coopération économique élargie, ni une solidarité effective face à un potentiel ennemi commun. Le Maroc, sur ce point, participe déjà amplement, sous l’égide de l’ONU notamment, à diverses forces d’intervention sur les terrains extérieurs.
Mais le risque apparaît singulièrement élevé de voir notre diplomatie se démener sur tous les fronts, celui du statut avancé européen, celui d’une Union du Maghreb arabe (UMA) qu’elle appelle toujours de ses vœux, et celui d’une intégration au sein du Conseil de coopération du Golfe. Au point de se perdre, corps et biens, dans le triangle… des Bermudes.
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