Tout a commencé par une bavure. Un jeune bidonvillois de Sidi Moumen, dealer occasionnel, est tué lors d’une tentative d’arrestation dans des circonstances assez troubles. Trois jours plus tard, le samedi, une marche organisée par sa famille et ses amis vers la préfecture de police dégénère.
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Alors qu’ils passent devant les twin, quelques centaines de manifestants envahissent le centre commercial et commencent à piller les magasins en semant la panique. Quand la police intervient, ils se replient vers Massira et commencent à casser les boutiques de luxe du boulevard le plus chic de Casa.
Le soir, c’est toute la ville qui s’embrase. Les trottoirs défoncés de Gauthier ou d’Abdellatif Benkadour servent d’armes de jets aux pillards. Des petits groupes s’attaquent aux magasins du Triangle d’or aussitôt suivis par des centaines de hooligans improvisés.
Rajaouis et widadis s’unissent pour contrer les charges des mokhazni complètement débordés. Dans les sky bar de la corniche, des bandes d’ados dépouillent la jeunesse dorée de ses smartphones et de ses portefeuilles.
Le lendemain, la folie continue. On compte déjà deux morts, des commerçants déchiquetés à coup de sabres par des assaillants sous psychotropes. Lundi le préfet Mouzouni est rappelé en catastrophe pour éteindre l’incendie alors que les commerçants créent des milices d’autodéfense.
Mais les émeutes atteignent tous les quartiers et s’étendent même à Fès, Rabat et Tanger. Et le mardi, alors qu’ils protégeaient le commerce de leurs parents, trois jeunes meknessis sont fauchés par la voiture d’un pillard....
Stop ! Ce cauchemar n’est pas (encore) arrivé chez nous. Mais dans un autre royaume, l’un des pays les plus développés du monde : l’Angleterre. Remplacez la corniche par Notting Hill, Gauthier par Clapham et Meknès par Manchester et vous pouvez imaginer le pire. Car même si nous semblons vivre à des années lumière de l’une des villes les plus chères de la planète, les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets.
Comment explique-t-on cette poussée soudaine de violence dans un pays d’ordinaire si calme ? Autour de David Cameron, on s’attache à blâmer « la part malade de l’Angleterre », les parents démissionnaires et les enfants livrés à la rue et à la drogue. A gauche, on préfère rappeler que les jeunes pillards sont souvent illettrés, qu’ils subissent des taux de chômage record et qu’ils n’ont « aucun sentiment d’appartenance à la société ».
On découvre aussi d’après un rapport de l’université de Sheffield que les 10% des Londoniens les plus riches le sont 273 fois plus que les 10% des Londoniens les plus pauvres. On souligne enfin que les Britanniques sont excédés par leurs parlementaires corrompus, leurs flics ripoux et leurs spéculateurs amoraux. Ça ne vous rappelle rien ?
Il est peut-être temps qu’à l’instar de ce que certains super riches ont proclamé en France, nos milliardaires s’engagent à contribuer à l’effort que le royaume doit accomplir pour résorber ces insupportables inégalités. Et qu’à l’approche des élections, les partis prennent la mesure du péril dans lequel leurs comportements nous plongent. Le roi, dans son dernier discours, a bien saisi ce risque. Sera-t-il le seul ?
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