Dix mille personnes juste en face de la frontière, derrière les barbelés. Une situation insupportable aux yeux des turcs qui ont, sans tarder, décidé de venir en aide à leurs « frères syriens » pour subvenir, selon le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, « à leurs besoins les plus urgents ».
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La Turquie ne lésinera donc pas sur les moyens à mobiliser pour fournir une assistance humanitaire aux milliers de Syriens massés à la frontière. En Tunisie, ce sont les réfugiés libyens qui disputent aux touristes le droit de profiter du soleil de Djerba.
Ce sont ainsi plus de 70 000 victimes de la fuite en avant de Khadafi qui ont trouvé refuge en Tunisie depuis le début de la crise en février. Là aussi, les déclarations du Premier ministre sont sans appel : pas question de fermer la porte à ces personnes en danger.
Ironie du sort, ces mêmes Tunisiens qui traversent la Méditerranée pour fuir la crise économique sont toujours personae non gratae en Europe. Aujourd’hui, le premier souci des Européens, c’est l’arrêt du flux de clandestins.
Les autorités italiennes ont bien décrété l’état d’« urgence humanitaire », mais c’était juste pour pouvoir bloquer au large tous les bateaux suspects. Le ministre de l’Intérieur italien, Roberto Maroni, a même eu le culot de proposer à Tunis l’envoi de policiers sur le sol tunisien pour empêcher ces « indigènes » de lorgner sur les côtes italiennes.
On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les récentes déclarations de Claude Guéant qui se glorifie dans les colonnes du Figaro « qu’avant 2001, la France ne reconduisait dans leur pays d’origine que 8 000 à 9 000 personnes par an, alors qu’aujourd’hui, c’est environ 30 000. Très franchement, j’espère que nous ferons plus ! »
En fait, les Turcs comme les Tunisiens n’ont rien inventé, ils prennent juste le mot « ingérence » (du latin ingerere, porter dans) à la lettre. C’est-à -dire, recevoir des personnes victimes de catastrophes naturelles ou de violations des droits de l’Homme. Le souci humanitaire, au lieu de l’obsession politique.
Pourtant, ce sont bien les Français – et singulièrement Bernard Kouchner – qui ont mis à l’ordre du jour le droit d’ingérence, concept préventif désormais à la mode. Aujourd’hui, l’Europe soudainement devenue frileuse, a préféré la compromission à la compassion.
Armées de quelques moulinets verbeux, l’Europe comme l’Amérique ont zéro sur toute la ligne. Aussi bien sur la compréhension des printemps arabes, observés à la lorgnette de préjugés culturels, que sur les interventions intempestives dans ce même monde arabe.
Sous prétexte d’apprendre la démocratie à des peuples qui ne la connaissent pas, on a renvoyé l’Irak à ses fractures internes et l’Afghanistan à ses guerres tribales. Pour l’heure, les frappes chirurgicales de l’Otan sur la Libye n’ont fait que quelques centaines de morts, sans affecter outre mesure le régime du leader libyen.
La dictature de Bachar El Assad, en revanche, n’a aucun souci à se faire. En raison bien entendu du veto russe mais aussi du souci pour Israël (et son protecteur américain) d’avoir comme voisin un dictateur sûr en lieu et place d’un démocrate incertain. La diplomatie américaine se soucie comme d’une guigne des milliers de morts exécutés par le digne héritier de celui qui avait supervisé le massacre de Hama en 1982. L’Occident et le monde arabe ne partageraient-ils ni les mêmes idées, ni les mêmes valeurs, ni les mêmes humanismes ?
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