C’était jeudi dernier. Le sang des victimes était à peine séché, des blessés luttaient encore entre la vie et la mort, la douleur des familles était alors à son paroxysme… mais déjà des donneurs de leçons professionnels s’acquittaient de leur tâche avec une impudeur sidérante.
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Le jour même de l’attentat, on pouvait lire sous la plume d’Ali Lmrabet un édito assez méprisable titré « Un attentat qui conforte le régime marocain » qui s’achevait par ces phrases : « Grâce à cet acte criminel, l’autocratie alaouite va gagner du temps. Un temps pour nous garder muselés. » Une semaine plus tard, l’édito était toujours en ligne, assorti de son lot de commentaires nauséabonds.
Dès l’annonce de l’attentat, partout sur Facebook, des « experts » déchaînés se sont livrés à des spéculations paranoïaques relayant une théorie du complot ne reposant sur rien. Ou presque.
Une conviction préfabriquée domine cette « pensée » d’adhésion et elle se résume en une phrase : les services veulent empêcher les réformes démocratiques et sont derrière toute action visant à déstabiliser le pays.
Au fil des jours, la discussion s’est enrichie de commentaires qui allaient jusqu’à remettre en cause l’existence même d’AQMI ! Les otages détenus par l’organisation au Mali apprécieront.
Notons que cette propension au délire n’est pas l’apanage d’anti-makhzeniens patentés. Dans un autre registre, d’innombrables internautes se sont rués sur le Mouvement du 20 février l’accusant d’être à l’origine des attentats.
Car les sécuritaires, qui étaient fort occupés à surveiller ceux qui militaient pour la libération des salafistes, ont dû baisser la garde vis-à -vis des terroristes ! La chasse aux sorcières est devenu notre sport national.
A la décharge des « conspirationnistes », notons que les réflexes pavloviens dont ils font preuve quand ils voient une officine de la DGST derrière les poseurs de bombes du café Argana, peuvent s’expliquer par le traumatisme des dérives sécuritaires post-mai 2003 (politique que d’ailleurs tout le monde a applaudi à l’époque).
Dans le sillage de Ali Lmrabet, nos théoriciens du complot se sont d’ailleurs empressés de prédire que l’attentat de Jamaâ El Fna allait provoquer un tour de vis sécuritaire, une restriction des libertés et le gel du processus démocratique. Ils ont aussi prophétisé une enquête opaque et aux ordres…
Or, à quoi avons-nous assisté depuis le 28 avril ? Les manifestations du 1er mai ont-elles été interdites ? Y a-t-il eu un coup de filet liberticide chez les islamistes ? La nouvelle Constitution a-t-elle été reportée ? Les sites Web contestataires ont-ils été bloqués ?
Les policiers français, espagnols et américains qui participent à l’enquête sont-ils aux ordres de la DGST ? Il y a bien l’affaire Niny, pourrait-on rétorquer. Mais elle a commencé bien avant l’attentat…
Bien sûr, il est impossible de prophétiser ce que seront les prochaines semaines. Mais on peut en revanche faire remarquer aux apprentis sorciers adeptes de la chasse aux sorcières que la question qui les taraude - « à qui profite le crime ? » - a fait condamner depuis la nuit des temps des milliers d’innocents.
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