L’anecdote mérite d’être contée. Parce qu’elle témoigne d’un aveuglement qui se doit d’être évoqué, à défaut d’être clairement dénoncé. Avant de vouloir construire une nouvelle mosquée digne de sa puissance et de son rayonnement, forcément plus grande, forcément plus haute que la mosquée Hassan II de Casablanca – dernier projet de notre voisin et ami – Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne, avait déjà pris ombrage du succès grandissant d’un festival international sis à Rabat, capitale du Maroc.
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Des stars mondiales réunies dix jours durant par des organisateurs marocains, sous les yeux de millions de spectateurs, et de dizaines de millions de téléspectateurs à travers le monde, dont l’ensemble des pays arabes, c’en était trop !
Le Maroc allait voir ce que la puissance et les moyens afférents de l’Algérie allaient pouvoir offrir à sa population et aux yeux du monde entier. C’était en 2009. Ainsi est née l’idée d’un Festival panafricain, à Alger.
Dotation : 65 millions… d’euros ! Vous ne rêvez pas : 65 millions d’euros. Plus de 700 millions de dirhams. A ce prix-là , le Maroc pouvait déjà déclarer forfait et se voir priver, pour des décennies, de la participation des plus grandes stars mondiales.
Pour asseoir ses ambitions internationales, Alger avait besoin de stars. Stevie Wonder fut contacté. Avec un pont d’or à la clé. Deux millions d’euros (4 fois son cachet habituel) et mise à disposition d’un jet privé. Stevie dit… non !
BB King fut à son tour sollicité. Un million d’euros de cachet proposé, assorti d’un jet privé. Alors notoirement surendetté, en raison de dettes de jeux, le flamboyant BB King accepta le contrat. Nul ne sut pourquoi, mais le roi de la gratte finit par renoncer à son million d’euros.
Et Bouteflika dut ravaler ses ambitions et reconnaître que ne s’improvise pas programmateur de festival international qui veut, fût-ce au prix de quelques millions de barils de pétrole. Et d’un argent public là -bas dépensé sans compter.
Alors, lorsque quelques esprits croient bon de dénoncer la « dilapidation » de l’argent public parce que la capitale du Maroc verse une subvention de 4 millions de dirhams (soit 6% du budget total) aux organisateurs d’un festival qui rassemble plus de 2,3 millions de spectateurs dont 98% ont un accès gratuit aux concerts, qui bénéficie à des dizaines et des dizaines d’entreprises prestataires, des centaines de restaurants et hôtels, et qui voit se produire les artistes marocains dans 45% des spectacles prévus… on peine à comprendre la polémique.
Tous les débats sont ouverts. Et actuel entend tenir son rôle dans cette contribution au(x) débat(s). Mais que les choses soient claires : réclamer l’annulation de Mawazine et appeler au boycott par les artistes de ce rendez-vous national et international, au prétexte qu’une partie de son financement pourrait être mieux utilisée au profit d’une politique culturelle revisitée, est à peu près aussi stupide que d’espérer régler le problème de la faim dans le monde en interdisant tous les rassemblements culturels de la planète !
Maroc Cultures ne saurait se substituer au ministère de la Culture. S’il est une responsabilité avérée en matière de quasi-désert culturel, c’est bien celle du ministère et du gouvernement. Les sympathisants du 20-Février devraient avoir la lucidité, et la maturité, de ne pas se tromper de combat.
La notoriété de Mawazine, qui a depuis longtemps franchi les frontières et pénétré les milieux culturels et musicaux des cinq continents, mérite un tout autre débat.
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