Dix jours après un discours royal historique, le Maroc est aujourd’hui confronté à des écueils qui pourraient annihiler un immense espoir.
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Pour grossir leurs rangs virtuels, les jeunes facebookers ont depuis le départ accepté des alliances avec les courants les plus divers. Les extrêmes se sont donc rejoints depuis le 20 février pour aboutir à ce très improbable pacte islamo-soviétique où les adlistes de la famille Yassine côtoient les marxistes-léninistes d’Annahj Addimocrati.
Tout ce beau monde grossit les rangs des manifs mais ces alliés de circonstance ne font pas avancer la cause pour laquelle se battent les jeunes du mouvement. Les partisans de Nadia Yassine sont tout, sauf des démocrates.
Ils comptent bien utiliser la démocratie pour parvenir à leur fin… c’est-à -dire justement de la supprimer ! Qui parmi les « vingtmarsistes » peut prétendre, sans rire, préférer un état islamiste à une démocratie imparfaite ?
Lors de la manifestation du 6 mars à Casablanca, la présence des adlistes est devenue ostentatoire. Normal : les barbus sont les plus nombreux et les mieux organisés. Un seul geste de Nadia Yassine et le Mouvement du 20 février devient une succursale de la jamaâ.
Le pire c’est que ce noyautage devient un prétexte pour les forces de l’ordre qui retrouvent leurs réflexes ancestraux de matraquage dès qu’ils voient une barbe dépasser.
C’est ce qui s’est passé dimanche 13 mars. La répression aveugle qui s’est déchaînée sur les manifestants ce jour-là n’a pas seulement touché les adlistes : jeunes, journalistes ou simples passants ont été molestés ou passés à tabac.
Ce manque de professionnalisme de la police a eu des répercussions désastreuses. Les modérés qui soutenaient le mouvement, et que le discours avait comblés, ont commencé à douter après cet excès de zèle sécuritaire ; et l’image du Maroc à l’international, qui était sortie considérablement renforcée après l’annonce d’une réforme de la Constitution, est devenue subitement brouillée par cette bavure indigne.
A la veille du 20 mars, on espère que le sang froid prévaudra de part et d’autre. La police doit faire preuve de professionnalisme et de discernement. Quant à la crédibilité du mouvement, elle risque d’être sérieusement entamée si les organisateurs se laissent déborder par des gauchos pressés d’en découdre ou des islamos ravis de se retrouver en position de victime.
On peut protester de tout, mais pas avec n’importe qui. Il y a aujourd’hui un réel danger de récupération et de dilution des idéaux d’un mouvement qui, jusqu’à présent, a fait preuve d’une maturité exemplaire.
Depuis que les bolchéviques ont dupé les mencheviks en 1917, l’extrême gauche minoritaire a toujours tenté de récupérer les mouvements politiques et sociaux à son profit par une stratégie d’entrisme élaborée.
Elle parvient déjà à profiter du buzz médiatique. On a même vu des membres d’Annahj Addimocrati frustrés de ne pas avoir été tabassés comme les autres le 13 mars ! Quant aux adlistes, ils ont déjà commencé à monter en puissance dans la rue et à abuser de la tolérance dont ils bénéficient pour faire avancer leurs thèses et leurs slogans.
Sans doute faut-il inviter les jeunes épris de l’extension du champ des libertés et de réformes démocratiques à se mettre au travail et à confronter leurs propositions avec les autres composantes de la société marocaine.
Sans s’associer davantage à ceux qui veulent les utiliser – et avec eux le mouvement de sympathie dont ils ont bénéficié – pour radicaliser une contestation qui a trouvé un début de réponse qui mérite débat.
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