L’image est terrible : trois enfants dont deux bébés vivant à l’état sauvage, à deux pas de l’autoroute, dans un terrain vague. Le tout-petit baigne dans ses excréments, le benjamin tremble de fièvre et l’aînée, traînant à moitié nue, souffre d’incontinence urinaire. La maman, l’air hagard, vous toise d’un regard méfiant.
L’histoire ? La famille fait partie d’une trentaine de ménages qui vivaient dans un bidonville situé à la périphérie de Mohammédia. Tout ce beau monde a bénéficié d’un programme de relogement. Y compris ce couple. Sauf que le chef de famille qui a revendu son lot espère faire pression sur les autorités. « Nous ne quitterons pas cet endroit tant qu’ils ne nous auront pas trouvé un toit. Nous avons droit au logement », tonne l’homme qui attend de pied ferme l’ONG ou le journaliste qui immortalisera la scène de ces enfants en guenilles « victimes du Makhzen ». Sur ce dossier, les départements chargés d’éradiquer l’habitat insalubre ne manquent pas de solutions. Mais le chantage aux droits de l’Homme a souvent servi aux bidonvillois pour camper sur leurs positions malgré toutes les alternatives proposées. « La photo du roi, un drapeau et une banderole » suffisent à faire fuir le plus zélé des représentants de l’autorité.
Autre registre, même manipulation médiatique : ce sont des activistes espagnols qui écument les villes du Sud, piétinant le drapeau national et insultant au passage le chef de l’Etat. Alors que les forces de l’ordre tentent d’intervenir, la presse internationale crie à l’atteinte aux droits de l’Homme.
Que fait la police ? On se le demande. Partout, des chauffards professionnels font le bras d’honneur aux agents de service et des criminels notoires terrorisent les populations car la peur du gendarme a changé de camp. La police a toujours mauvaise presse, les uniformes n’ont pas réussi leur reconversion et les recommandations de l’IER se heurtent à des résistances culturelles réelles. Mais voilà , chaque jour, ce sont des centaines de Marocains qui bafouent le droit au nom des droits de l’Homme. Après avoir enterré les années de plomb, nous sommes passés à l’inflation des revendications. Encore une fois, les malheurs auxquels nous assistons ne sont pas dus à un déficit de lois mais au fait que le Marocain n’a aucun respect pour une législation qu’il soupçonne de servir les intérêts des puissants du pays.
Le véritable populisme, celui qui rêve d’enterrer tout élan démocratique, c’est la défiance envers la loi sous prétexte que « c’est la volonté populaire qui doit, à tout moment, avoir force de loi ». Sur ce sujet, les partis politiques, la société civile et nous autres journalistes faisons preuve de complaisance. Les premiers par lâcheté, les autres en poussant le « droit-de-l’hommisme » à l’extrême. Si le respect des droits de l’Homme ne peut subir aucun accommodement possible, les « intégristes » des droits de l’Homme apportent de l’eau au moulin de ceux, bien nombreux, qui rêvent d’en découdre avec une démocratie « d’importation », inadaptée à une société comme la nôtre. Or c’est une chose de s’appuyer sur l’adhésion d’une grande partie de l’opinion dans ce qu’elle a de meilleur pour promouvoir la culture des droits de l’Homme ; c’en est une autre de dénigrer la loi pour courtiser une opinion majoritaire dans ce qu’elle a de pire. Devra-t-on passer par une nouvelle Déclaration des droits (et des devoirs) pour parcourir ce long chemin menant à une véritable patrie des droits de l’Homme ? Certes, nous sommes encore une démocratie balbutiante, inachevée. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut s’arrêter en cours de route ! |