Imaginez un chauffard. Il conduit à 100 km/h en ville (-6), sans sa ceinture (-1), il grille un feu (-4), prend un sens interdit (-4), refuse une priorité (-2). Bien sûr, il roule de nuit tous feux éteints (-3) dans une épave qui n’est pas passée au contrôle technique depuis des lustres (-3). Pour finir, il fait demi-tour sur une autoroute (-3) et conduit en sens inverse du trafic (-4). Ouf ! Il a fallu que notre chauffard commette toutes ces infractions pour atteindre son quota de 30 points. On peut enfin lui retirer son permis...
On a accusé Karim Ghellab de vouloir imposer un code de la route suédois aux Marocains et on a brocardé son système à points. Force est aujourd’hui de constater que notre nouveau code est bien éloigné de l’intransigeance scandinave. Le texte qui s’applique à partir du 1er octobre paraît même édulcoré au regard de l’hécatombe que subit le Maroc sur ses routes.
Et pourtant, que de négociations et de compromissions pour en arriver là  ! La loi la plus importante du gouvernement El Fassi aura été paradoxalement bien peu soutenue par le Premier ministre. Il y a 18 mois quand le pays était paralysé par une violente grève des transports, Karim Ghellab était alors bien seul pour défendre son texte…
Aujourd’hui, dans sa version définitive, le code est loin du brulot qui déclencha un climat quasi insurrectionnel dans le Royaume. Les amendes ont été revues à la baisse et, surtout, toutes les garanties pour prémunir les automobilistes des policiers corrompus sont aujourd’hui mises en place.
Le ministre a beau jeu de nous déclarer que si « les citoyens veulent un système corrompu, ils l’auront ». En ce sens, la loi Ghellab toute édulcorée qu’elle soit, reste un texte de référence. La plupart des décrets d’applications sont parus, les procédures sont limpides, les recours balisés. C’est maintenant aux Marocains de décider s’ils veulent vivre dans un Etat de droit sur leurs routes. C’est au peuple de décider s’il préfère la culture du bakchich à la peur du gendarme. Et c’est aux autorités d’imposer ce civisme.
Car il y a l’esprit des lois et l’état d’esprit de ceux qui les appliquent ou les subissent. Le nouveau code pourrait agir comme un véritable test pour le Royaume, même s’il ne résoudra pas d’un coup de baguette magique l’éducation d’une population pour qui « l’autre » n’existe pas. Nos maisons sont impeccables à l’intérieur, mais nos rues sont des décharges à ciel ouvert...
Il est d’ailleurs révélateur que l’interdiction de l’usage compulsif du klaxon ne soit pas encore à l’ordre du jour. On réprime la violence routière, mais on tolère le droit d’aboyer. La nuisance sonore est pourtant un bon révélateur de notre indifférence à autrui. Comme le comportement des automobilistes sur les routes se révèle un bon indicateur de civilisation. Le civisme sur les routes devrait être intégré dans les indices de développement humains... Mais nous serions alors parmi les derniers !
Au volant, le Marocain se comporte comme un barbare. Ce n’est pas une fatalité. Les Français conduisaient aussi comme des sauvages il y a moins d’une génération. Mêmes les Américains n’ont pas toujours été ces automobilistes obéissants bloqués à 65 miles/h.
Il a fallu un arsenal répressif imposant pour sauver des milliers de vies. Même incomplet, même perfectible, nous avons désormais l’outil pour que notre permis de conduire ne se transforme plus en permis de tuer. |