L’une est ce que l’on pourrait appeler une « femme de lettres ». L’autre est une modeste Iranienne, d’origine azérie. La première, Mouna Hachim, s’adonne non sans succès à l’écriture et tient chronique chez notre confrère L’Economiste. La seconde, Sakineh Mohammadi Ashtiani, croupit dans une cellule de 18 m2 de la prison de Tabriz, aux côtés de trente-quatre autres détenues.
Notre écrivaine livre cette semaine quelques « réflexions » que provoque chez elle « l’extrême médiatisation du cas de l’Iranienne », qualifié de « pain béni (sic) de la machine médiatique », en dissertant doctement sur le thème « La lapidation : une prescription musulmane ? ». Au même moment, Sakineh recevait pour la seconde fois 99 coups de fouet, en attendant son exécution. Mouna et Sakineh ont pourtant quelque chose en commun. Elles sont nées la même année, en 1967.
Mais quand l’une subit les tortures physiques et morales imposées par les mollahs pour extorquer des aveux, l’autre s’interroge sur « les soubassements politiques qui se cachent derrière un certain humanisme à géométrie variable » et sur « la portée de certaines condamnations de la lapidation qui passent de la dénonciation de cette sentence archaïque à l’attaque contre l’islam dont il serait la marque de fabrique ». Comme si la question, urgente, aujourd’hui, était moins de se mobiliser pour épargner la vie d’une femme dont le seul « crime » avéré est d’avoir pratiqué l’adultère que de retracer l’histoire de la lapidation à travers les siècles pour mieux dénoncer ceux qui pourraient être tentés de lier lapidation et religion. Au risque d’oublier que le pouvoir des mollahs en place à Téhéran, qui tue – au sens propre comme au figuré – toute velléité d’expression démocratique, se nourrit de l’idéologie d’un islam fondamentaliste.
Gloser sur la lapidation à travers les siècles quand le régime d’Ahmadinejad s’affranchit de toutes les règles qui fondent un Etat de droit, et pratiquer l’amalgame sous couvert d’érudisme confine à l’aveuglement, voire à l’indécence. Du fond de sa cellule, en attendant le sort qui lui est promis, Sakineh n’aura sans doute pas le loisir de s’interroger sur « le vaste débat sur la peine de mort » auquel se refuse Mouna Hachim. Ni sur cet « humanisme à géométrie variable » visant à « s’apitoyer » sur sa condamnation.
Les faits sont là , plus tenaces que les égarements d’une apprentie exégète. Condamnée à 99 coups de fouets pour adultère, libérée après quatre mois de détention, rejugée et condamnée à mort par lapidation pour « complicité d’assassinat » de son époux – ce qu’elle a toujours nié – Sakineh, victime d’actes de torture (selon une ex-codétenue depuis libérée) pour lui soutirer des « aveux » devant les caméras de la télévision iranienne, attend aujourd’hui son exécution, suspendue durant la période de ramadan.
La République islamique d’Iran qui avait par deux fois, en 2002 et en 2008, annoncé son intention de renoncer à la lapidation, a manifestement radicalisé sa position. En oubliant que l’islam en appelle aussi à la clémence, au pardon et à la miséricorde. Les intellectuels musulmans s’honoreraient à le rappeler, en portant haut les véritables valeurs de l’islam. Leur silence est aujourd’hui assourdissant. |