Lâaffaire Abdelmalek Ouazzari, ce jeune homme dont la police de Mohammedia vient dâĂ©tablir lâinnocence, aprĂšs lâavoir prĂ©sentĂ© Ă la justice pour des faits de pĂ©dophilie aggravĂ©e commis par un autre homme, violeur multirĂ©cidiviste ( lire pages 14 Ă 21 ), constitue un vĂ©ritable et dramatique cas dâĂ©cole. Il interpelle non seulement les corps constituĂ©s, garant de nos libertĂ©s, que sont (devraient ĂȘtre) la police et la justice, mais aussi nous, les mĂ©dias, et plus largement les citoyens que nous sommes. Cette interpellation touche en effet Ă ce que nous devrions avoir de plus cher. Elle pointe un dysfonctionnement largement rĂ©pandu au cĆur des dĂ©mocraties, celui de lâatteinte Ă la prĂ©somption dâinnocence. Le fait que nous ne fassions pas exception ne console en rien de la dĂ©rive qui gangrĂšne sournoisement ce principe fondateur qui distingue la dĂ©mocratie de la tyrannie.
Le consensus est lĂ qui veut que, dans une dĂ©mocratie, toute personne accusĂ©e soit « prĂ©sumĂ©e innocente » tant quâun tribunal impartial ne lâa pas dĂ©clarĂ©e coupable. La tyrannie joue sur un tout autre registre : toute personne y est par essence prĂ©sumĂ©e coupable, et câest Ă elle quâil revient de faire la preuve de son innocence ! Sâil fallait le rappeler, lâarticle 11 de la DĂ©claration universelle des droits de lâHomme ne souffre dâaucune ambigĂŒitĂ© : « Toute personne accusĂ©e dâun acte dĂ©lictueux est prĂ©sumĂ©e innocente jusquâĂ ce que sa culpabilitĂ© ait Ă©tĂ© lĂ©galement Ă©tablie au cours dâun procĂšs public oĂč toutes les garanties nĂ©cessaires Ă sa dĂ©fense lui auront Ă©tĂ© assurĂ©es. »
Seulement voilĂ , police, justice et mĂ©dias ont pris tour Ă tour lâhabitude de sâaffranchir de ce principe protecteur des libertĂ©s. La police qui ne rĂ©siste pas Ă exhiber des « prises » sensibles pour embellir un bilan parfois discutable. La justice qui, par manque de discernement ou de rigueur, sâĂ©mancipe parfois outrageusement de lâun des principes fondateurs du droit. Les mĂ©dias, enïŹn, dont nous sommes, qui par facilitĂ©, amateurisme, ou manque de professionnalisme, confondent libertĂ© dâinformer et respect des droits de la personne.
Que, contrairement aux reprĂ©sentants des pouvoirs publics que sont la police et la justice, rien â au sens strict, lĂ©gal â ne contraigne les journalistes Ă respecter la prĂ©somption dâinnocence, nâempĂȘche pas lâexercice des rĂšgles de prudence. Ă tout le moins de bonnes pratiques, en conformitĂ© avec une dĂ©ontologie qui devrait sâen tenir aux faits. Ă lâĂ©cart de toute accusation non fondĂ©e, de toute condamnation publique prĂ©maturĂ©e. De toute atteinte Ă lâhonneur ou Ă la vie privĂ©e.
La marge est Ă©troite autant que dĂ©licate. Car si les journalistes ne peuvent ignorer la prĂ©somption dâinnocence, les mĂ©dias doivent pouvoir Ă©voquer sans contrainte des investigations en cours, voire citer les noms des personnes impliquĂ©es. Or nombre dâaffaires sensibles, ici et lĂ , nâauraient pu voir le jour si des journalistes, sâimposant un traitement rigoureux dâinformations strictement factuelles, nâavaient informĂ© sur des enquĂȘtes en cours. Friands de ces crimes et autres dĂ©lits qui appĂątent le lecteur et font, parfois, le succĂšs de certaines publications, les journalistes ont pourtant un impĂ©rieux devoir de prudence, pour ne pas se substituer Ă la justice. Et encore moins briser la vie de personnes innocentes, injustement poursuivies, et exposĂ©es sans prĂ©caution.
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