Des représentants syndicaux ont décidé jeudi matin d’occuper le siège de leur entreprise pour réclamer la reprise des négociations sur les salaires qui s’étaient soldées par un échec ?n février. Des salariés menacent de faire exploser des bonbonnes de gaz qu’ils ont réparties sur les toits de leur usine pour dénoncer la délocalisation de leur production dans un pays des Balkans, et tenter d’obtenir le maintien de la production dans leur usine.
Nous ne sommes pas au Maroc. Pas encore. Mais en France, où il ne se passe guère de semaine sans que les tensions sociales, alimentées par les dégâts de la crise économique et les effets de la mondialisation, ne se radicalisent. Et conduisent les salariés à des actions parfois désespérées. Au cœur d’un pays qui se targue de la qualité de ses relations sociales, et d’une forte tradition syndicale, la multiplication de ces coups de force traduit à tout le moins un profond malaise quand – à crise économique et sociale amplement partagée – d’autres nations européennes trouvent les voies d’une négociation plus apaisée.
Entre radicalité française et tensions classiques à l’échelle européenne, le dialogue social de notre pays semble relever d’une certaine inertie. Non pas que l’expression de mécontentement des salariés, du privé comme du public, ne se manifeste pas parfois de façon véhémente, assortie de manifestations de rue ou de mouvements de grève spectaculaires, mais force est de constater que cette expression-là est le plus souvent étouffée dans l’œuf. Autrement dit, qu’elle laisse les partenaires camper sur leurs positions, parfois des mois durant, sans qu’aucun accord ne vienne sceller le fruit de négociations intelligemment partagées. Au risque d’entretenir un ressentiment de nature à en?ammer les relations sociales à la moindre occasion.
On se surprend parfois, au l de déplacements sur les routes du Royaume, à découvrir la présence d’importants piquets de grève à l’entrée ici, d’une usine de produits textile, là , d’une entreprise de produits alimentaires. Si la surprise est grande, c’est que ces con?its demeurent le plus souvent ignorés de tous, y compris des médias. Alors qu’une grève des pilotes de ligne de la RAM est immédiatement relayée parce qu’elle entrave le bon fonctionnement des liaisons aériennes, qui se soucie de ces ouvrières du textile ou de ces petites mains de l’industrie qui parfois n’existent même pas sur le registre des effectifs, et encore moins sur ceux de la CNSS ? Le « dialogue social » af?ché à l’envi par les pouvoirs publics, comme par un grand nombre d’entreprises, est à considérer pour ce qu’il est : indigent. Nos « spéciécités » sociales, culturelles, politiques, historiques, ont bon dos ! Les revendiquer n’exonère en rien les partenaires – gouvernement, organisations patronales, syndicats –, tous sans exception, de la pressante obligation qui est la leur de faire vivre réellement la dimension sociale de l’entreprise.
Il ne s’agit plus, pour des dirigeants syndicaux peu rigoureux, de « vendre » la paix sociale. Encore moins pour les pouvoirs publics d’assurer quelques subsides en contrepartie du retrait de toute revendication. De la représentativité des organisations syndicales aux accords de branche, des négociations annuelles sur les salaires aux conditions de travail, du respect du code du travail à la ré?exion sur une nouvelle pratique des relations sociales : les chantiers sont suf?samment nombreux pour mobiliser les forces sociales autour d’une table. Et tenter de redonner vie à un dialogue social aujourd’hui en singulière déshérence.
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