La question peut paraître brutale. Mais comment qualifier des comportements à la limite de la schizophrénie, des attitudes qui ne traduisent guère la réalité des choses, un discours lénifiant sur des pratiques d’un autre âge ?
Une large frange de la population qui ne jeûne pas mais qui continue de faire semblant, un pays « musulman » où les records de consommation d’alcool font perdre leur latin aux œnologues les plus tolérants, des hôteliers qui continuent d’exiger un acte de mariage aux couples alors que des filles racolent sur le trottoir d’en face, sans compter l’industrie prospère d’hymens refaits à bas prix. Les CD pornographiques font rage à Derb Ghallef alors que la télévision nationale s’offusque facilement d’un bout de jambe nue. D’un autre côté, à l’approche de chaque échéance électorale, les hommes politiques nous jouent un remake de Tartuffe ou l’Imposteur. Les partis brandissent des slogans vendeurs. Ils parlent aisément démocratie, transparence, mais sont incapables d’ériger ces mêmes notions comme mode de gouvernance au sein de leur propre structure. Gangrenées par le culte du zaïm, les formations partisanes renvoient allègrement aux calendes grecques la remise en question des dysfonctionnements de leurs actions. Cherchons l’erreur.
Il y a bien quelques lois qui relèvent de la préhistoire. Exemple : si dans la pratique, l’alcool est partout disponible, un article de loi qui remonte au protectorat interdit toute vente d’alcool à des Marocains musulmans. Mais au-delà des tracasseries policières, on gagnerait à comprendre d’où vient cette hypocrisie collective. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement qu’une démocratie véritable ne peut s’accommoder d’individus prêts à se vendre au plus offrant, de leaders politiques qui ont érigé la tartufferie comme mode de gouvernance et de pseudo-intellectuels ayant des connaissances sur tout mais d’opinion sur rien. Au lieu de regarder l’Histoire droit dans les yeux et de lui dire son fait, nous faisons mine de nous engager pour des combats mineurs. L’utopie d’un royaume apaisé où les débats se dérouleraient dans les salons feutrés de la haute bourgeoisie doit être enterrée : ce n’est pas en flattant les bas instincts de la société, en faisant l’autruche devant la masse que l’on fait avancer les choses. Ce sont les passions les plus virulentes, les débats les moins consensuels, les empoignades les plus insensées qui témoignent de la vitalité d’une société. Penser, critiquer, c’est s’ouvrir sur un champ de possibles ; c’est, comme dirait Kant, penser au pluriel, souvent avec les autres mais aussi contre beaucoup d’entre eux. La tâche est d’autant plus ardue que le monde change aujourd’hui beaucoup plus vite que notre compréhension de ce monde.
actuel |